Unir les anciens cultes de Kέdura
— Un nettoyage par le Vide s’impose, pour qu’enfin, l’ancien battu, par le Souffle du changement, modifie son état et de solide se transforme en un élément volatil, d’une puissance extrême !
— Le Vide ! Qui ose affronter ce point d’ignorance infinie qui engendre pourtant le Cercle de la Connaissance ?
— Ils disent qu’ils savent. Leurs calebasses sont pleines à ras-bord de ce savoir. Ils disent que leur érudition vient de Nous. Ils disent que leurs pratiques viennent de Nous. Je n’ai nulle part dans ma conscience l’écho d’un tel enseignement.
— Où sont nos audacieux descendants ?
— Ils reposent dans la Matière laborieuse de Tiga.
— Combien sont-ils, ces audacieux descendants incapables de se comprendre et qui pourtant se réclament de nous ?
— Ils sont sept… non ! Onze et douze ou même vingt-quatre, issus des cinq dimensions de Tiga.
— Qu’ils avancent !
Sept, onze et douze… bref ! vingt-quatre hommes et femmes transportés par la puissance de la vision de l’ingénieur Awkaɳ se matérialisèrent dans l’hémicycle des Anciens.
Tiga, leur planète d’origine n’était plus qu’un point dérisoire perdu à plusieurs milliers de milliards de kilomètres dans un espace vulgairement nommé système solaire. La voix de l’Ancien des Jours de Tourmente s’éleva :
— Qui êtes-vous ?
Aucun des vingt-quatre Terriens n’osa émettre un son. Leurs regards émerveillés ne se lassaient pas d’admirer le décor somptueux déroulé à leurs pieds. Comment avaient-ils pu, en pratiquant de manière imparfaite le Culte de leurs Ancêtres, atteindre un tel degré de conscience ?
— L’ancien figé ne peut être vivifié par les mots, par les rites immobiles de vos ancêtres. Qu’essayez-vous de construire ? Qu’Agyeman nous réponde !
L’interpellé détacha les yeux du sceptre indescriptible tenu par le Sage qui menait la conversation.
— Je suis Agyeman, fils d’Osei, fils de Baako, fils d’Osei. Le royaume Mankessim contient dans ses fondements le sang de mes Ancêtres Fanti.
— Que fait Agyeman fils d’Osei de Mankessim avec Kamara ? Que Baldé nous réponde !
— Je suis Baldé, fils d’Alfa, fils de Yaya, fils de Thierno. Le royaume de Labé contient dans ses fondements le sang de mes Ancêtres fulbé. Kamara et Agyeman sont l’écho de ma conscience hier encore emprisonnée entre les cinq murs de mes acquis sociaux et religieux.
— Qui parmi vous osera s’attaquer à ce sujet ? reprit la voix de l’Ancien.
— Quel sujet ? s’enquit l’Ancienne Maturité.
— Celui-là justement.
— Voulez-vous maintenir vos préjugés afin qu’en atteignant l’âge honorable d’un demi-siècle, ils devinssent des vérités ? demanda l’Ancien de Toutes les Causes d’une voix tranchante.
Vingt-quatre têtes dodelinant de la gauche vers la droite traduisirent une négation unanime. L’Ancien des Jours de Tourmente dit :
— Pourquoi vous escrimez-vous alors à générer des tempêtes dans le fond des calebasses où l’ancien ne peut être vivifié par vos souffles altérés ?
— Nous voulons que les choses changent ! répliqua une jeune femme au maintien de guerrière impeccable.
— Jὲsí Maka Tanga ! Pourquoi poses-tu tes pas dans ceux de Buhari ? Qu’Ezeagu-Obasi nous réponde !
— Je suis Egbe, fils d’Igwe, fils de Nnukwu, fils d’Ezeagu, fils d’Obasi. Le royaume Nike s’est bâti avec le sang de mes Ancêtres. J’ai vu dans l’œil d’Egbe le présage de la mort des miens. Je lie mon sang à celui de mes frères et de mes sœurs, ici présents pour que l’ancien figé redevienne vivant.
— Comment le sang du Nike, hier animiste aujourd’hui chrétien, peut-il cohabiter avec celui de Buhari ayant oublié, dans la mémoire tronquée de ses Ancêtres, la trame de la Vie kέdu et ne sachant plus que bâtir avec l’islam ? s’enquit l’Ancien, Maître du Temps.
— Comment le sang de Kamara enrichi par celui de Sylla, l’un Bamanan, l’autre Soninké, et tous les deux dévoués à l’islam, peut-il se lier à celui de Mukalenga et de Kouadio enchaînés, par l’héritage colonial, au christianisme ? Que voulez-vous construire avec de telles charges ? demanda l’Ancienne des Destins Accomplis.
— Apprenez-vous à réaliser cette liaison ! dit une autre jeune femme.
— Zakina Jumai ! Pourquoi as-tu posé la jarre sacrée de Nkanu sur la tablette du Mallam ? Que Kimathi nous réponde !
— Je suis Kimathi fils de Gikuyu, fils de Mombε. Mon royaume porte la trace des pas ensanglantés de mes Ancêtres depuis le Mont de Gikuyu jusqu’à la plaine de Naïyarobi. J’aiderai ma sœur Jumai à lever la jarre de Nkanu du parchemin venu d’ailleurs. Donnez-nous la voie à suivre, vénérables Anciens !
— Quels sont donc les activités favorites de ces descendants nôtres ?
— Le combat des mots qui ne construisent rien.
— Ils aiment à boire sans discontinuer et ne prennent jamais le temps de vider leurs verres.
— Ils savent tout sur tout. Ils veulent construire à l’extérieur ce qui n’existe pas encore en eux.
— Ils se disent initiés, traditionalistes et ne savent pas parler ni en public ni dans le secret.
— Ils se veulent unis, liés par le sang de la Tradition, mais sont prompts à la colère, à l’insulte et à la destruction.
— Ils s’endorment chaque nuit la tête bien remplie et se réveillent chaque matin, la tête encore plus pleine.
— Le Nettoyage par la Vide est une donnée qu’ils ne sont pas prêts à intégrer.
— Avec l’ancien figé, ils veulent créer un âge d’or, un culte flamboyant qui unisse au-delà du sang, Pullo et Hawsa, Akan et Sáwá, Mandenka et Yorùbá, Igbo et Ewé, Shona et Luba…
— Qui a coulé de l’or dans un pot d’argile aussi millénaire qu’il puisse être?
— Vénérables Anciens !
La voix, ayant interrompu les Anciens dans leur échange insoutenable, traduisait dans ses intonations, la détresse des vingt-quatre Terriens au bord du découragement.
— Ils nous appellent vénérables, mais nulle part dans leurs rites n’apparaît la trace de notre présence.
— Ils disent qu’ils nous nourrissent en versant des libations sur le sol.
— De notre vivant, buvions-nous à même la terre de Kέdu ?
— De notre vivant, mangions-nous à même la terre de Kέdu ?
— Chaque jour, ils égorgent des animaux et disent nous abreuver de leur sang !
— Pourquoi ne s’interrogent-ils pas avant de perpétuer ces rites de l’ancien figé ?
— Pourquoi nous cherchez-vous dans les entrailles de vos terres sans lever la tête vers les Étoiles ?
— Ô Vénérables Anciens ! Nous avons trouvé ces rites, ces cultes, par vous légués !
— Pourquoi ces cultes, par nous légués, ont-ils été aussi vite balayés par ceux venus au-delà des mers ?
— Qui, parmi vous, a osé se poser la question ?
— Qui, parmi vous, s’est risqué à sonder l’ancien figé, non pour le vivifier mais pour le précipiter au sol et lire enfin dans le fond de la jarre vidée de son contenu, l’insupportable vérité ?
— Nous ne comprenons pas votre logique, Vénérables Anciens ! Êtes-vous en train de nous dire que nous nous trompons de voie, une fois de plus ? demanda d’un ton respectueux mais néanmoins tendu l’un des vingt-quatre Terriens.
— Êtes-vous sur la bonne voie, en ressuscitant l’ancien figé, depuis des siècles, sans avoir une seule fois vidé vos calebasses, sans avoir une seule fois tout nettoyé, tout renversé, tout détruit ? fut la réponse de l’Ancien Maître du Temps.
— Quand nous versons du vin au sol pour vous glorifier, qui nourrissons-nous ? s’écria Dame Jὲsí Maka Tanga.
— Vous nourrissez ceux qui y sont : les esprits attachés à vos libations terrestres et point vos Ancêtres qui aspirent à une énergie plus subtile, moins dense que les vapeurs d’alcool.
— Nous ne nous en sortirons jamais ! C’était pourtant ainsi que nos Ancêtres invoquaient le Divin et ses multiples manifestations ! reprit Nana Agyeman profondément troublé, au même titre que ses compatriotes, par les paroles des Anciens.
— Et leurs offrandes en parfaite adéquation avec leur maturité d’esprit étaient agréées par l’Un multi manifesté.
— Les préceptes cultuels évoluent avec la sagesse de ceux qui les perpétuent. Vous voulez reprendre l’héritage de vos Ancêtres dans l’état où il est sans rien y apporter. Vous êtes des constructeurs de véhicules solaires mais vous vous complaisez à vous déplacer avec la vieille bicyclette ancestrale parce que paresseux vous êtes !
— Si nous vous comprenons bien, Vénérables Anciens, nous devons transformer les cultes de nos Ancêtres ? Mais comment ? Avec quoi ?
— Comment ? En retrouvant le sens de la Mesure naturelle de toute chose. Avec quoi ? Avec ce qui existe dans cette même nature mais magnifiée par votre pensée pure.
— Mais comment procéder ?
— Bâtissez d’abord à l’intérieur de chacun de vous ce que vous désirez construire dans l’Effet ! Aucun culte ne peut être vivant si ceux qui essaient de le régénérer ne se régénèrent pas eux-mêmes en mourant dans les quatre états de conscience que connaissent très bien vos Ancêtres.
— Nous sommes prêts à mourir ! dit Baldé dans un cri de cœur sincère.
Il fut approuvé par ses compagnons.
— Aucun de vous n’est justement prêt à se faire tuer pour la Cause que vous défendez pourtant avec une bonne foi admirable. Pour mourir, il faut comprendre pourquoi un tel sacrifice est nécessaire. Il ne se traduit pas par les mots, ni dans l’action. Il ne s’agit pas de mourir pour faire triompher une idée.
— Nous sommes perdus !
— Vous l’êtes sûrement. Vous le resterez également si vous ne savez pas comment l’ancien, figé peut être vivifié, transformé et unifié pour offrir à tous les fils et filles de Kedu un Culte Unique.
— Qui va oser poser les bases de cette entreprise ? Qui pourra parler la consonne poro, articuler la voyelle komo, dire le soleil isango, affronter le noir vodun, compter de 1 à 10, sans dire le 10 et être compris par les Initiés de toute votre terre Kέdu ?
— C’est proprement impossible ! riposta Kamara passablement énervé.
— Nous voulons fédérer nos cultes ! Nous voulons créer un socle unique de nos rites tout en les conservant dans leur structure originelle ! renchérit Dame Kisani.
— Ils veulent être puissants, agir ensemble, tout en pratiquant des cultes différents, résuma l’Ancien des Jours de Tourmente.
— Vénérables Anciens ! Si nous sommes devant vous, c’est justement pour que vous nous donniez ce qu’il faut afin d’unifier nos nombreux cultes ! Nous n’y arrivons pas ! Pourtant nous tâchons, malgré nos différences linguistiques de bâtir des terrains d’entente et d’avancer dans la même direction, plaida Ezeagu-Obasi d’une voix calme.
— Nous n’avons aucune solution pour vous. Puisque vous savez déjà tout, répondit tout aussi calmement l’Ancien des Jours de Tourmente.
— Aucune solution en effet, comme vous vous dites armés pour la régénérescence de l’ancien figé depuis des siècles, dit l’Ancienne Maturité.
— Quelle solution voulez-vous quand vous construisez tout à l’extérieur, en plein jour, au son des tam-tams modernes ? Sans vous être lavés, sans vous être tués de quatre et une manières différentes, comme vos Ancêtres sacrifièrent leurs vies pour le temps de l’apprentissage ? rétorqua l’Ancienne des Accomplissements Ultimes.
— Quelle solution satisferait tout à la fois le lion conscient d’être le roi d’une savane contenant l’éléphant qui par sa corpulence se sait imposant, l’aigle qui en dominant l’air refuse de se lier aux autres, le python tapi dans l’ombre et redoutable, la panthère terriblement agile et secrète, le léopard rapide et indomptable, la tortue mystique et peu partageuse, le crocodile impitoyable et conscient de sa force ? demanda l’Ancien, Maître du Temps.
— Je commence à comprendre ! s’exclama enfin Diallo.
— Éclaire nos lanternes, frère nôtre, répliqua Dame Adeola en libérant un sourire un tant soit peu ironique.
— Sommes-nous vraiment prêts à nous unir et à œuvrer ensemble pour le bien de nos peuples ? Telle est à mon sens la question essentielle !
— Question qui ne devrait même plus se poser, puisque nous avons mis nos efforts en commun pour construire une idéologie cultuelle unique ! riposta Buhari.
— Ils assemblent des bouts de bois différents, secs, mouillés, courts, effilés, tordus, poreux, denses et ils espèrent en faire un feu de joie à la flamme unique et libératrice.
La voix grave de l’Ancien des Jours de Tourmente plongea de nouveau les Terriens dans leur océan d’incertitudes.
La lueur de compréhension émise par Diallo s’éteignit tandis que la flamme évoquée par l’Ancien se matérialisait au milieu de l’hémicycle.
— Voici votre feu commun. Maliba l’alimente avec cinq morceaux de bois aux multiples consistances. Sáwá, Luba, Oromo, Igbo, Hawsa, Yorùbá, Fanti, Baoulé, Wolof, Fulbé, Ndembélé, Shona, Kikuyu et tous les autres peuples installés autour de ce feu, vont tâcher de le nourrir avec des bouts de bois de différentes dimensions. Regardons sans intervenir.
Laissons ces bois se consumer jusqu’au dernier. Observons le charbon rougeoyant devenir cendre, puis la cendre refroidie nous dévoiler la dernière phase de ce travail de groupe. Qui peut en regardant cette poussière grise, déterminer la provenance du bois l’ayant produite ? Qui peut trouver dans sa robe uniforme, le bois Dan, la brindille Basa’a ? Qui pourra dire qu’elle est plus Asanti que San ? Qui nous démontrera qu’elle possède plus d’okumé que d’aniégré ?
Lorsque l’Ancien des Jours de Tourmente se tut, les Terriens échangèrent des regards accablés. Ils inclinèrent leur tête au sol et la vérité se fit en eux.
Ils comprirent enfin la signification de cette injonction : Nettoyez tout par le Vide ! Ils ne pouvaient rien construire s’ils ne renonçaient pas ensemble à leurs rites et autres cultes respectifs! Ils avaient voulu s’unir en apportant chacun une écuelle remplie de nourriture gouteuse mais avaient échoué à créer un mélange homogène satisfaisant.
Chacun avait posé sa jarre aux mille mystères sur le sol non débarrassé de ses souillures, sans s’être lavé, sans avoir accompli le rituel pourtant nécessaire de la mort sacrificielle des désirs individuels.
— Si nous acceptons de renoncer à nos cultes sur quoi allons-nous nous appuyer pour construire ? demanda Kouadio.
— Pourquoi renoncer à vos cultes, puisqu’ils sont le socle fondamental de votre identité kέdu ?
Ils se redressèrent comme un seul homme et la même incompréhension prit possession de leur raison. Quand ils avaient cru s’approcher de la solution, les Anciens créaient de nouveaux malentendus.
— Les bouts de bois en brûlant, ont-ils disparu ? reprit l’Ancienne Maturité.
Ils ne dirent mot mais secouèrent la tête pour marquer leur négation.
— Sont-ils contenus dans la cendre et son charbon ?
— Ils le sont ! affirmèrent les vingt-quatre d’une même voix.
— Pourquoi alors renoncer ? Pourquoi ne pas transformer ? Pourquoi ne pas prendre la vieille jarre au lieu de la réduire en morceaux, de simplement la vider avec précaution de son contenu sur le sol assaini ? suggéra l’Ancien de Toutes les Causes.
— Sur le sol assaini, avec vos mains purifiées, vos corps parfaitement alignés, vos pensées rigoureuses, vous verserez les contenus de vos jarres. Vous les combinerez et les laisserez fusionner pour ne devenir qu’UN ! De cette formidable transmutation vous tirerez des notes uniques, des mots communs à tous, des rites identiques. Qui pourra alors dire que la jarre Fang était plus puissante que la jarre Sénoufo ?
— De l’Ancien naît le Nouveau ! s’écria Dame Kisani d’une voix exaltée.
— De l’Ancien naît le Nouveau ! reprirent ses compagnons habités par le même sentiment d’exaltation.
Ce fut autour des Anciens de s’incliner pour saluer les conclusions de leurs descendants.
— Tout cela ne se bâtira pas en une génération. Il vous faudra affronter mille et une épreuves. Vous tuerez et vous serez tués. Vous triompherez et vous serez vaincus. Mais quoi qu’il puisse vous arriver, ne renoncez jamais à ce Renaissance.
Gardez en mémoire la Flamme keduwa, alimentée par de milliers de bouts de bois, représentant les peuples de Kedu. Ne vous attardez pas sur les effets, gardez toujours votre regard interne fixé sur cette flamme et ne voyez que le résultat : cette merveille cendrée avec son cœur sublime, noir, intense et dense, qui aura cristallisé toute la puissance des peuples ayant accepté de mourir, consumés par le Feu ancestral purificateur pour ne former qu’UN !
L’Ancienne des Destins Accomplis se tut. Le Maître du Temps prit la parole :
— Certains parmi vous sont à l’origine de cette Nouvelle Conscience et leur règne s’appellera NuBi Conquête et Passions 1.Si vous êtes fermes dans vos résolutions, si vous ne déviez pas de votre mission malgré les combats meurtriers que vous aurez à mener, vous serez assistés, guidés et protégés par de grandes Entités qui s’incarneront au sein de vos peuples afin de vous maintenir sur la Voie des Anciens. Sachez que le plan dans lequel vous êtes en ce moment n’appartient pas à votre système solaire.
Sachez qu’il y a plusieurs millions d’années, vos Ascendants, premiers habitants de Tiga ayant atteint un degré élevé d’ascension spirituelle réussirent à ouvrir un passage jusqu’à Jirakun permettant ainsi aux Intelligences Cosmiques de cet univers de leur venir en aide durant les grands cataclysmes que connut Tiga. Tout vous sera dévoilé ainsi qu’à vos descendants si vous demeurez fidèles aux Cultes des Ancêtres et travaillez à les unifier.
Le Maître de Tous les Temps, Seigneur d’Aw, de Ka et de Dü se tut. L’Ancien des Destinées et des
Résolutions dit :
— Vos descendants auront la charge de toutes les Résolutions émanant de vos choix. Leur Temps s’inscrira dans La Guerre des Anciens 2 qu’ils devront mener pour conserver l’héritage que vous leur aurez légué. Ils combattront aussi bien dans l’Effet que dans la Cause. Comme vous, ils arboreront le vêtement gris venu d’ailleurs.
L’Ancien de Toutes les Causes avança vers le milieu de l’hémicycle. La Flamme qui n’était alimentée par aucun souffle, aucun combustible, sembla gagner en intensité. Il dit :
— Depuis la Résolution, vos descendants assistés par vous ou devenus vos ascendants prépareront le combat dans la Cause de toutes Choses. Leur temps portera le nom de Mémoires Collectives Oubliées 3 . La communication ne sera jamais coupée avec nous Premiers Kedu ayant regagné ce plan cosmique appelé Ita Rundi et qui vous est acquis.
Le dernier règne où vous pourrez intervenir, que vous pourrez influencer se situe dans l’Effet, autrement dit dans votre réalité et ses apparences. C’est à ce niveau que s’exerceront vos émotions, quand vous n’aurez pas réussi à aligner correctement vos corps ou à garder la liaison avec nous.
Nommez le Compréhension, parce que c’est ce qui vous aura manqué, Amour puisqu’il s’agira aussi de votre aptitude à aimer et enfin Partage 4, afin que vous acquériez l’humilité nécessaire pour votre accès à la Cause et à ses Mémoires Collectives Oubliées et de là à participer à La Guerre des Anciens. Ce temps est celui des Hommes de Kέdura.
— Vénérables Anciens ! Comment pouvons-nous être tout à la fois, les Ancêtres de nos descendants dans la Résolution, puis nous retrouver dans l’Effet et dans la Cause comme leurs enfants ? demanda Dame Jumai.
1 – NuBi Conquêtes et Passions en abrégé NCP est la quatrième collection d’Ekima Media.
2 – La Guerre des Anciens ou LGA, troisième collection d’Ekima Media.
3 – Mémoires Collectives Oubliées ou MCO, deuxième collection d’Ekima Media.
4 – Compréhension, Amour et Partage ou CAP, première collection d’Ekima Media, désormais Hommes de Kέdura (HDK).
— Les Ancêtres d’aujourd’hui deviendront demain, les petits-fils de leurs descendants. Il ne s’agit toujours que du même Temps, Aw celui qui était, Ka celui qui est, et enfin Dü, l’illusion ou son ombre qui aspire la conscience dans ce que vous appelez futur et qui n’existe pas. Vos cultes ont cet élément en commun : la boucle intemporelle de l’incarnation. Cultivez-le et ne vous laissez jamais convaincre par aucune autre croyance que la Réincarnation n’existe pas. Elle est la clé donnant accès à la Mémoire des vies qui s’écoulent dans la spirale du Temps jusqu’à l’accomplissement ultime.
L’Effet, la Cause, la Résolution et l’Origine sont aussi les quatre degrés initiatiques, les quatre corps qui contiennent Urutiga et ses deux autres enveloppes : Úti et Uga. Sachez que vous ne pouvez rien changer dans l’Effet. Sachez que vos cris de colère, vos souffrances et vos haines ne seront jamais vengés ou suspendus dans l’Effet.
Maturité marqua une pause. Ses paroles vibraient dans sa sphère d’action, celle de la Sagesse et des Apprentissages réalisés dans les quatre états de conscience de l’Homme. Sa voix posée s’éleva de nouveau pour conclure son propos :
— Qui a jamais récupéré l’eau renversée sur le sable ? Il en est ainsi de tout ce qui se passe dans l’Effet. Vos actions devront prendre racine dans la Cause. Si vous voulez mettre un terme à une situation intenable dans l’Effet, gagnez la Cause et travaillez avec l’Ombre et le Secret afin que dans Imaora, vous n’ayez plus à subir les désagréments générés par ladite situation. Soyez des Guerriers, silencieux.
Préférez l’anonyme existence, où vous êtes plus efficaces, au gris altéré du soleil qui dévoile sûrement vos limites et vos manquements. Et si vous choisissez d’être des Précurseurs agissant par la Parole, que celle-ci soit toujours claire, juste, efficace, dépourvue de passion, de colère, de dénigrement et de prétention. Soyez des Hérauts sachant manier le Verbe sans aucune émotion et rejoignez, pour vous fortifier, vos frères et sœurs dans Ikuɳ. Exprimez avec le pouvoir du Mot, le combat que vous menez tout en respectant le Code Ancestral.
L’Ancienne Maturité se tut. Le Maître des Mystères et des Mondes Invisibles s’adressa aux vingt-quatre.
— Vos cultes ne pourront se fondre que dans la création de puissantes confréries qui perpétueront ces derniers tout en ayant leur propres codes, rites et symboles ainsi qu’une langue commune et des initiations spécifiques.
Nous veillerons à vous transmettre toutes les connaissances liées à ces confréries. Nous rectifierons de même tous les rites altérés ou déviés des cultes ancestraux, afin que plus jamais l’ancien ne se fige.
Vous créerez sous les directives et conseils de certains d’entre nous, mais également de nos Vénérables Primordiaux de Jirakun, quatre confréries destinées à vous maintenir unis, soudés, solidaires et invincibles. Je vous nomme dès maintenant trois d’entre elles : Musi Mosa, chargée de l’instruction de tous les jeunes, dès l’enfance jusqu’à la fin du premier âge fixé à 18 ans pour les filles et 21 pour les garçons. Ils vont y apprendre les préceptes de base pour leur vie dans l’Effet avec pour mots clés : La Compréhension, l’Amour et le Partage.
Ensuite ils intégreront pour les filles Usaɳ et pour les garçons Kumna. Les définitions de ces termes, ainsi que le détail des initiations contenues dans chaque confrérie, vous seront donnés par les Vénérables Primordiaux de Jirakun que vous incarnerez au fil des siècles.
L’Ancien des Mystères et des Mondes Invisibles observa plusieurs secondes de silence.
L’intervalle ainsi aménagé permit à l’Awkaɳ de poser les repères utiles aux vingt-quatre, dans les quatre mondes, afin qu’ils pussent y retrouver les directives de l’Ancien sous forme de prédictions et de manifestations synchronisées.
Après avoir fixé la sphère translucide qu’il tenait sur son socle tout au bout de son sceptre, l’Ancien s’exprima de nouveau :
— Certains d’entre vous vivront dans des temps où les enseignements que je viens de mentionner n’auront plus cours, du moins dans l’Effet. Quand cette période viendra, elle annoncera aussi le début de grands bouleversements et un basculement irréversible de plusieurs peuples sur la Voie des Anciens. Les confréries affaiblies, pendant des siècles, renaîtront et dispenseront de nouveau leurs enseignements dans Imaora.
Vous êtes vingt-quatre, exactement le même nombre que nous, choisis pour votre maturité spirituelle et appartenant à des siècles différents. Lorsque vous vous réveillerez, il ne restera de ce que vous avez vécu que des bribes d’informations semblables aux séquences d’un rêve. Qui alors pourra narrer la trame de vos vies et raviver de la cendre ancestrale le morceau de charbon rougeoyant faiblement ?
Quarante-huit paires d’yeux se fixèrent sur un point unique. J’étais, comme toujours, assise à l’écart de tous.
— Jeune Petite ! Garde-toi de tout esprit facétieux dans la transcription que tu feras de nos paroles ! me dit l’Ancien des Jours de Tourmente.
Je ne répondis un mot. J’essayai sans grand succès, de sortir de cette vision pour me soustraire à ces regards attentifs attendant de moi la restitution fidèle de leurs échanges.
— Es-tu capable de tout écrire sans rien altérer ? me demanda Buhari sans un sourire.
— C’est aux Anciens qu’il faut poser la question ! ripostai-je contre celui qui, dans NuBi Conquêtes et Passions, allait devenir le redoutable prince peul, Abdul Mokhtar Lerlima Buhari.
Je les avais tous reconnus. Ils appartenaient à des époques différentes.
Il y avait, réunis dans cet espace immense, sans murs matérialisés, des personnages de ce que je m’escrimais à appeler romans.
Le peul Buhari, tout droit venu des 18ème et 19ème siècles, côtoyait le Fanti Agyeman vivant au 20ème siècle.
Entre les deux, se tenaient Dame Jumai du 18ème siècle et Kouadio du 21ème siècle.
Ces acteurs d’histoires épiques, vivant dans des pays différents, ayant pratiqué pour la plupart les religions importées, étaient pourtant là, unis par une idéologie unique.
Le lien entre eux demeurait les vingt-quatre Anciens se réclamant de Tiga, nom Jiran de la planète Terre.
— Il me faut un artiste plus que doué. Un créateur capable de voir tout ceci et de le transcrire en images, dis-je aux Anciens.
— Il se tient déjà à tes côtés, pourtant tu ne le vois pas, me répondit l’Ancienne Maturité.
— Il nous faut beaucoup plus que cela. C’est moi qui dors avec la folie, figurez-vous !
— Un grain de folie qu’il te suffit d’avaler pour le faire germer. Quand te décideras-tu ?
Je lançai un regard à l’Ancien des Jours de Tourmente et lui répliquai :
— Quand j’aurai un demi-siècle. Alors tout ce que j’ai pu voir avec vous deviendra vérité.
— Il est alors temps. Tu as cinquante ans. Tout ce que nous t’avons montré, est devenu vérité. Réveille-toi. Tu as cinquante ans. Ton silence est suspendu.