PEUPLES KέDU : Les Kikuyu

Introduction à l’histoire du Kenya et des Kikuyu

Le Mont Kenya ©privatesafaris.co.ke

Rien ne vaut une belle introduction élaborée par les Autochtones d’un pays de Nubi pour planter le décor d’une étude sur les Us et Coutumes des Kikuyu du Kenya.

Et cette introduction nous dit (1), je cite : « Le Kenya tire son nom du plus haut sommet du pays. Les Kikuyu établis sur les terres où culmine cette montagne l’appelaient Kirinyaga ou Kerenyaga, ce qui signifie la Montagne de la blancheur.

Une montagne aux sommets enneigés d’où « blancheur » et qui culmine à 5199 mètres. Le Kirinyaga occupe une place importante dans la cosmogonie kikuyu comme nous le verrons par la suite.

 

1.  http://www.statehousekenya.go.ke

Une autre appellation cette fois-ci venue des Kamba du Kenya un autre groupe bantu désigne la montagne sous le nom de Kiinyaa qui signifierait Montagne de l’autruche.

Ce volatile qui présente un plumage noir et blanc à l’âge adulte et dont l’une des curiosités est d’enfouir sa tête dans le sable en cas de danger.

Vu sous cet angle, la forme qu’adopte l’autruche et l’ordonnance de son plumage peuvent en effet s’appliquer à cette masse rocheuse sombre au somment blanc.

©www.iew.be
©pinterest

Pour revenir à notre histoire, incapables de prononcer correctement le mot kirinyaga, les Britanniques coupèrent court à leur incapacité et baptisèrent le mont en Kenya. Nom qui plus tard désigna le pays que nous connaissons : le KENYA.

Voilà pour la petite histoire. Un peu de géographie à présent pour mieux localiser ce magnifique pays.

Le Kenya est situé en Afrique de l’Est et ses frontières lui donnent au Nord, l’Ethiopie des Oromo (1), au Nord-Est le Soudan, à l’Ouest l’Ouganda et le Lac Victoria, au Sud la Tanzanie et enfin à l’Est la Somalie et une façade maritime sur l’Océan Indien.
L’Histoire du Kenya eut été étale s’il n’y avait eu, au cœur même de ses terres, un peuple intraitable, un peuple d’autochtones insurgé contre la domination coloniale britannique.

Le Kenya n’a pas eu de grands royaumes comme le Zimbabwe. Mais il possède à l’instar du Zimbabwe une grande tradition guerrière développée par le peuple majoritaire : les Kikuyu.

C’est cette belle mais bien sanglante tranche de l’histoire de ce pays que nous allons retenir dans notre étude : la grande révolte Mau Mau.

1. Voir sur notre blog l’étude sur les Oromo. (à venir)

Les Kikuyu au cœur d’un mouvement d’une rare intensité : La révolte Mau Mau.

Longtemps considérée comme un mouvement sanguinaire, violent et racial qui prônait un retour radical aux Sources précoloniales, la révolte Mau Mau a connu la disgrâce orchestrée de concert par le gouvernement colonial britannique et par les mouvements indépendantistes encore « aveuglés » par les dogmes d’une prétendue civilisation pacifique inculqués par le colon.

Il est heureux de voir qu’aujourd’hui, les dirigeants kenyans ont retrouvé la mesure des choses en réhabilitant dignement cette insurrection armée des Kikuyu connue sous le nom de Mau Mau.
Témoin de cette réhabilitation, la statue grandeur nature de l’un des leaders lui aussi controversé à l’époque, Dedan Kimathi qui donna sa vie pour la libération de son pays.

Affiche MAU MAU
Didan Kimatshi, leader et martyr de l’insurection Mau Mau ©historiek.net

Commencée en 1952, la révolte Mau Mau ne prendra fin qu’en 1960. Au total, ce fut 8 longues années de guerre que les Kikuyu et autres peuples solidaires allaient offrir au pouvoir colonial. Une insurrection comme nous l’avons dit terriblement sanglante et c’est cet aspect bien justifiable que ses détracteurs allaient retenir pour la discréditer.

Le mouvement Mau Mau fut mené par 4 grands leaders qui connurent des fortunes différentes. Et tous étaient Kikuyu, tous voulaient une libération sans condition de leur pays. Tous promettaient de réinstaurer les valeurs de leur culture dans la conduite des affaires du pays.

The Forty Group et l’insurrection Mau Mau

 Traduction littérale de Anake a 40, (mot gikuyu (kikuyu) qui signifie les Jeunes hommes de 40, allusion explicite aux jeunes combattants kikuyu enrôlés dans l’armée britannique pour combattre durant la seconde guerre mondiale en Europe, le Groupe de 40, fondé par Mwangui Macharia était composé d’anciens combattants démobilisés.

Anake a 40 constituera plus tard le cœur de la révolte Mau Mau avec notamment parmi les leaders de l’insurrection un des dirigeants du Groupe, Stanley Mathenge.

Combattants Mau Mau ©http://droitinternational.ek.la/

De l’origine du terme Mau Mau

Un autre leader Musa Mwariama au premier plan ©ke.opera.news

L’origine exacte de Mau Mau ne semble pas connue. Plusieurs significations ont été avancées par les historiens. Mau Mau aurait signifié « mangeurs avides », terme qui désignait bien entendu le Colon et les révolutionnaires Mau Mau eux-mêmes se positionnaient sous la bannière d’un mouvement politique de lutte armée appelé Kenya Land and Freedom Army (KLFA), mouvement n’ayant jamais été reconnu par le gouvernement britannique, qui allait cantonner les Mau Mau dans une étiquette terroriste.

Mau Mau pour certains serait l’anagramme du mot gikuyu Uma Uma qui signifie Sortez ! Sortez ! Un mot codifié dévolu aux jeunes garçons au sortir de leur initiation consécutive à leur circoncision.

Guerriers Mau Mau avec leurs armes de prédilection : le fusil et la machette.©agoraafricaine.info

En tout état de cause, la révolte Mau Mau combattait bien évidemment les « grands mangeurs » de leurs richesses qu’étaient à leurs yeux les colons britanniques et il était donc logique qu’ils leur criassent : Sortez! Sortez!

Quittez nos terres, rentrez chez vous et laissez-nous gouverner notre pays à notre guise!

Alors quelle que soit la signification accordée à Mau Mau, le but de cette rébellion était de libérer les terres kenyanes de l’occupation britannique.

La révolte Mau Mau fut conduite par quatre grands leaders : le maréchal Musa Mwariama, Waruhiu Itote surnommé général de Chine pour sa participation aux offensives britanniques en Asie du Sud-Est, Dedan Kimathi et Stanley Mathenge.

Evoquons pour mémoire celui qui a connu le destin le plus tragique : Kimathi wa Waciuri.

General China, Waruhiu Itote (1922-1993) lors de son arrestation ©twitter.com

Kimathi wa Waciuri (1920-1957), leader du Mouvement Mau Mau.

Statue de Dedan Kimathi érigée à Nairobi et inaugurée en 2006 ©wikipédia

Plus connu sous le nom de Dedan Kimathi, il demeure l’une des figures les plus controversées du mouvement Mau Mau.

Une vive polémique, longtemps après son assassinat par le pouvoir colonial britannique, allait opposer ce dernier qui continuait à le considérer comme un terroriste et les nationalistes kenyans qui en avaient fait un héros national.

Dedan Kimathi, ancien employé de l’armée coloniale, entre en contact avec les membres de la Kenya African Union (mouvement politique d’émancipation) en 1948. Trois ans plus tard, il est admis dans The Forty Group une organisation sélective et radicale, véritable main armée de la défunte Kikuyu Central Association.

Dedan Kimathi prête serment au sein du Groupe et commence aussitôt sa mission : bouter le britannique hors des terres de ses Ancêtres. Ses prises de positions radicales et ses coups d’éclat attirent aussitôt l’attention du gouvernement colonial qui craint, et à juste titre, une contamination générale des autochtones par de telles idées séditieuses.

En effet le mouvement ne tarde pas à être rejoint par Embu et Meru appartenant comme les Kikuyu au grand groupe bantu.

Jomo Kenyatta membre des Mau Mau modérés avec cinq autres membres ©pinterest
Dedan Kimathi ©workers.org

Arrêté une première fois et emprisonné en 1953, Dedan Kimathi s’évade avec la complicité de la police locale. Bon nombre de Kikuyu voient en lui le leader de leur cause.

Le leader rejoint alors le maquis et commence sa croisade. Une croisade particulièrement violente contre les positions britanniques.

Finalement arrêté en octobre 1956, dans la forêt de ses ancêtres à Nyeri, sa région d’origine, il est jugé et condamné à mort par pendaison en 1957.

La sentence exécutée le 18 février 1957 en fera à jamais un martyr et une figure de légende.
Honoré par un monument sous le gouvernement de Mwai Kibaki, troisième président du Kenya, Dedan Kimathi est définitivement réhabilité. Désormais il veille sur son pays en statue de bronze grandeur nature plantée dans le sol de Nairobi en 2006. Et sur le socle on peut lire ces mots : Freedom Fighter Dedan Kimathi. Le gouvernement kenyan est allé encore plus loin en donnant son nom au grand stade implanté à Nyeri sa région de naissance The Dedan Kimathi Stadium.

En résumé

La révolte Mau Mau a duré 8 ans et fait selon les estimations officielles 12 000 morts parmi les combattants Mau Mau (point de vue britannique), plus de 20 000 pour les chercheurs de tous bords.

Aujourd’hui encore, la controverse demeure sur la portée réelle de ce mouvement qui surprit à l’époque par sa violence somme toute légitime contre un pouvoir qui avait des raisons de perdurer.

Il est légitime de dire que la révolte Mau Mau a considérablement préparé le terrain pour l’indépendance du Kenya qui interviendra en 1963, soit 3 ans après la fin officielle de l’insurrection.
Si des nationalistes tels que Jomo Kenyatta ne partageaient pas au départ la politique radicale des Mau Mau et ont longtemps méprisé ce mouvement, ils ont avec le temps révisé leur position.

La rencontre de Jomo Kenyatta et de Wariuhu Itote leader Mau Mau arrêté en 1954, eut lieu dans un camp de détention où tous les deux séjourneront. Durant cette cohabitation, Jomo Kenyatta l’instruit allait apprendre à lire et à écrire à son compatriote et sans doute que leurs échanges contribuèrent plus tard à nuancer la position du premier président kenyan au cours des années qui suivirent.

Et on peut effectivement le penser en voyant cette photo symbolique prise en 1963 lors de l’indépendance du Kenya.

Photo qui montre Jomo Kenyatta premier président avec l’un des leaders des Mau Mau, Musa Mwariama.

Jomo Kenyatta et Wariuhu Itote ©gettyimages.ch
Wangari Maathai ©nonviolence.ca

Les Kikuyu ont donné de leur vie, de leur sang et de leur honneur pour leurs terres mais aussi pour celles de leurs compatriotes.

Ils ont donné 3 des 4 présidents du Kenya : Jomo Kenyatta, Mwai Kibaki et Uhuru Kenyatta fils de premier.

Ils ont donné à l’humanité une âme grande à la dimension de nos forêts : Wangari Maathai notre Mère Nature.

De l’origine des Kikuyu… entre mythe et réalité

Le mythe créateur occupe une place importante dans la tradition kikuyu. Et ce mythe créateur a pour centre le sommet du Mont Kenya.

Un sommet enneigé qui est la demeure terrestre de Ngai, le Créateur Suprême descendu du ciel pour élire domicile sur le plus haut pic et inspecter ainsi ses terres nouvellement créées. Kirinyaga est considéré par les Kikuyu traditionnalistes comme le lieu de repos de Dieu et c’est de là qu’il a créé le premier homme à qui il offre toutes les terres autour de sa montagne.

Ce premier homme, Ngai lui donne le nom de Gikuyu. Il est le père du peuple kikuyu.

Un homme Kikuyu ©flikr.com
Figuier étrangleur, parc de Samburu Kenya ©liboupat2.free.fr

Après avoir donné la terre à Gikuyu pour lui et sa descendance, il l’envoya dans un bosquet composé de figuiers et au milieu d’eux, se tenait une femme que Ngai nomma Mumbi.
Le bosquet, lieu de rencontre et abri des noces sacrées de Gikuyu et de Mumbai fut appelé Mukuru wa Nyagathanga, lieu de naissance de tous les Kikuyu. C’est un lieu sacré encore vénéré par de nombreux Kikuyu de nos jours.

C’est dans ce logis sacré que le couple primordial conçu les neuf filles ou neuf mères de la tradition cultuelle kikuyu. C’est ce qui explique qu’au départ, les Kikuyu comme bon nombre de peuples de Nubi pratiquaient le matriarcat en souvenir de ces neuf Mères nées du couple créé par Ngai.
Mais bien plus tard, prenant comme toujours prétexte de la cruauté et de l’emportement des femmes, les hommes allaient se servir de leur faiblesse génétique de porteuses de vie pour leur ravir le pouvoir.

Et aujourd’hui, les Kikuyu ont une société patrilinéaire et le patriarcat domine désormais toutes les structures sociales.
Nous verrons plus en profondeur la mythologie kikuyu dans les Rites et Cultes.

De l’origine des Kikuyu… les faits historiques

Partie intégrante de la Rift Valley, le berceau de l’humanité, le Kenya est une vieille terre de peuplement, depuis l’australopithèque jusqu’à l’homo sapiens sapiens, les pâturages de Kirinyaga ont nourri et abrité la vie humaine sur des millions d’années.

Pourtant, le Kikuyu n’aurait occupé ses terres actuelles qu’à la fin du premier millénaire de notre Ère. Le peuple kikuyu appartient à la grande famille des Bantu. Il aurait émigré depuis le centre de l’Afrique jusqu’à son emplacement actuel. Comme tous les Bantu, les Kikuyu sont des envahisseurs qui occupent et exploitent durablement les terres qu’ils convoitent. Ils sont sédentaires, agriculteurs et éleveurs.

De Gikuyu, Agikuyu, Akikuyu à Kikuyu

Mihiriga Kenda ©facebook

Les descendants de Gikuyu et de Mumbi ne se sont jamais appelés eux-mêmes Kikuyu mais plutôt Agikuyu ou A-kikuyu. Et il existe plusieurs variantes de cette appellation : Agekoyo, Aikuyu, Gikuyu, Wakikuyu et j’en passe.

Le terme Kikuyu viendrait de la déformation d’Agikuyu par les Swahili incapables eux aussi de bien prononcer le mot original. Et Kikuyu est donc resté comme appellation officielle pour désigner lAgikuyu dont la langue est le Gikuyu, nom de l’Ancêtre originel.

Une Société acéphale rigoureusement structurée

Installés dans les environs de Nairobi où ils sont majoritaires et du Mont Kenya, les Kikuyu ont développé une organisation sociale complexe professant une forme de démocratie aussi perfectionnée que celle du Gada des Oromo d’Ethiopie.

L’influence chrétienne, la colonisation et de nombreux apports étrangers ont considérablement affaibli le système traditionnel kikuyu qui demeure néanmoins assez efficace dans l’organisation sociale clanique et même au-delà.

Le groupe Kikuyu est le plus important au Kenya avec environ 22% de la population totale de ce pays. Ils sont réputés pour leur dynamisme économique et leur sens des affaires. Depuis leur habitat jusqu’à l’organisation sociale de la famille, la société kikuyu obéit à une structure d’échelle où le plus petit noyau est composé par le père, la mère et leurs enfants.

Cuisine traditionnelle Kikuyu ©trailmakersadv.com
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Penchons-nous sur la tradition issue de la mythologie esquissée dans la création ordonnée par Ngai qui porterait d’après le paléoanthropologue Richard Leakey un nom beaucoup plus vieux : Murungu.

A l’origine la société kikuyu était organisée selon trois principes fondamentaux : la descendance dans le cas du patrilignage, la territorialité des patriclans et enfin un double système de grades et de classes d’âge contrebalancé par les classes générationnelles.

Les patriclans issus des neuf filles mythiques de Gikuyu et de Mumbi

La société originelle kikuyu était au départ matrilinéaire. Les neuf filles issues du couple primordiale reçurent de la part du Créateur Ngai neuf époux et fondèrent ainsi les 9 principaux clans d’où se rattachent l’ensemble des Kikuyu. Les hommes au fil du temps ne supportant plus la prédominance des femmes auraient donc ourdi un complot : la tradition orale dit qu’ils mirent toutes les femmes enceintes au même moment (Sacre Murungu ! Quels sacrés Kikuyu !)

En s’appuyant sur les traditions qui invalident l’autorité d’une femme porteuse de vie, ils prirent le pouvoir. La société passa de matriclans à patriclans. C’est le système qui prévaut encore de nos jours et qui régule la société kikuyu traditionnelle.

©pinterest

Les patriclans kikuyu et leur mode de fonctionnement.

Médecin traditionnel kikuyu ©pinterest

A l’origine comme nous l’avons vu, il existe 9 clans issus des 9 filles de Gikuyu et de Mumbi au cours de leurs noces sacrées dans le champ céleste des figuiers au pied de Kirinyaga la demeure de Ngai, l’Ineffable.

Il est à noter que d’autres clans secondaires mais de moindre importance ont été créés avec le temps.

Chaque clan est composé de plusieurs lignages définis par le droit de propriété d’une terre.

Ce système est assez répandu chez les bantu en règle générale. On le retrouve chez les Sáwá du Cameroun où la terre appartient généralement à une lignée patriarcale.

Plusieurs lignées forment un clan et si le nombre d’enfants mâles devient important, le clan s’agrandit ou peut simplement se scinder en deux clans.

C’est souvent le cas chez les Sáwálorsque la « chèvre » liée à la dot des filles ne suffit plus pour tous les mâles d’une même lignée. Le fils aîné de la lignée peut fonder sa propre lignée qui demeure rattachée au clan originel.

Revenons chez les kikuyu. Comme chez bon nombre de peuples Bantu, les Kikuyu ne confient pas nécessairement la responsabilité du lignage à l’aîné. Ils rejoignent dans cette sagesse ancestrale les Sáwá-BoMbɔngɔ où il est dit que le droit d’aînesse ne réside pas dans l’âge mais dans les œuvres : Mutudu a sέ o mimbu ε ndí o ɓεɓolo

La différence entre ces deux peuples Bantu que nous avons choisi de poser l’un à côté de l’autre, réside dans le choix du chef d’une lignée. Chez les Sáwá-BoMbɔngɔ du Cameroun, celui-ci était souvent désigné par le père de son vivant qui confiait son choix à ses pairs. Ce dernier n’était dévoilé qu’avec le décès du père.

Mais chez les Kikuyu, le chef du lignage est choisi à l’unanimité par les hommes pour sa sagesse, ses compétences mais surtout pour sa connaissance et son respect des rites liés au Culte des Ancêtres. Ce second point tend à disparaître de nos jours dans la société moderne.

Une vieille dame Kikuyu ramasse du café ©alamyimages.fr

Le chef du lignage a la décision finale sur la vente ou la cession temporaire d’une parcelle de la terre lignagère. Il est aussi le garant des traditions et s’assure de leur application. Chaque famille du lignage est sous l’autorité du chef qui acquiert avec l’âge le titre de patriarche.

La première structure traditionnelle de la société kikuyu repose comme nous l’avons vu sur le système de patriclan qui coiffe le patrilignage et la propriété terrienne.

Examinons à présent la seconde structure de cette société Ntu. C’est dans cette structure que le Kikuyu étend sa notion d’espace mais aussi de temps.

Des patriclans au Rurongo ou Crête : le Conseil des Sages.

Chaque lignage inséré dans un patriclan occupe un espace défini par le droit patrilinéaire et plusieurs lignages maîtrisent une espace plus ou moins étendu, le plus souvent géographiquement contenu dans les vallées.

Rappelons que les Kikuyu occupent un espace montagneux et vallonné. La répartition judicieuse de l’occupation des vallées donne au final des Patriclans-villages installés dans des vallées elles-mêmes séparées par des sommets ou crêtes.

Le Rurongo ou Crête est l’unité géographie inscrite dans l’espace et le temps, qui regroupe plusieurs patriclans et autant de villages installés dans une vallée.

La seconde structure ainsi établie devient une autorité légale et religieuse. Chaque crête peut regrouper plusieurs patriclans et autant de lignages. Les « crêtes » traitent ainsi les affaires de tous les membres habitant la vallée quelle que soit leur appartenance clanique. Le Rurongo est à l’origine dirigé par un conseil composé de neuf sages.

Les 9 sages désignaient ensuite un porte-parole qui présidait les réunions tout en assurant le lien entre le Conseil et les « administrés ».

Tenue de parade du Chef Kikuyu ©facebook
©pinterest

Il faut signaler que les Britanniques, contrairement aux Français ou aux Portugais qui s’acharnèrent à détruire les structures traditionnelles existant dans leurs colonies, allaient plutôt s’appuyer sur ces dernières pour asseoir leur autorité. C’est ce qui explique une meilleure préservation dans l’ensemble des traditions dans les pays colonisés par la Grande-Bretagne.

Dans le cas des Kikuyu, les Britanniques ayant compris l’importance du Porte-parole du conseil des sages du Rurongo allaient lui attribuer plus de pouvoirs que ne l’autorisait au départ la Coutume. Et pour mieux pérenniser cette autorité qui devait servir leurs intérêts, ils transposèrent leur système monarchique dans cette structure.

Rappelons que les Crêtes comprenaient plusieurs unités elles-mêmes composées de villages. Et à chaque échelon il existait un conseil des Sages. Et au sommet des Crêtes, siégeait un conseil spécial constitué occasionnellement pour régler les affaires qui concernaient deux ou plusieurs Crêtes.

La troisième structure qui complète ce système traditionnel est celle des classes d’âge et des classes générationnelles liées à l’éducation mais surtout à l’initiation aux rites spécifiques. Cette dernière structure assurait à l’époque l’équilibre entre l’autorité des Patriclans et celle des Conseils des Sages des Crêtes.

Pour conclure, les Kikuyu possédaient et possèdent encore dans une moindre mesure un système décentralisé, profondément démocratique et d’une efficacité certaine dans la conduite de la société.

En renforçant l’autorité des Porte-parole des Conseils des sages, les Britanniques en firent des obligés qui finirent par exercer indirectement le pouvoir colonial sur les Kikuyu. Ce qui inévitablement fit perdre à plusieurs de ces « chefs » leur légitimité coutumière.

Une Société coutumière aux rites initiatiques complexes

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Nous avons vu que l’organisation de la société repose sur la famille, c’est le lignage. Plusieurs familles réunies forment un clan, c’est le Patriclan.
La direction des Clans revenait à l’origine au Conseil des Anciens, composé par les représentants des corps de métier prépondérants tels que le médecin traditionnel, le forgeron, ou le guerrier et tous étaient des initiés.

Les rites d’initiation revêtaient donc une importance certaine pour les Kikuyu.
Le premier dévolu aux garçons était bien entendu la circoncision. Quant aux filles, la pratique voulait qu’elles subissent des mutilations vaginales.

Les Kikuyu sont l’un des rares peuples bantu qui ont introduit dans leurs coutumes cette abominable pratique. Fort heureusement, elle tend à disparaître et pour une fois voici un rite à dénoncer et combattre part tous les moyens.

Pour revenir aux Kikuyu, les rites initiatiques tiennent donc une place considérable dans leur vie. Si on excepte ce bémol sur les mutilations des filles, l’organisation sociale des Kikuyu est un modèle quasi parfait de démocratie, une notion si chère aux occidentaux qui finissent par croire qu’ils l’ont inventée et qu’elle n’existe que par leur seul bon vouloir.
Plusieurs sociétés traditionnelles de Nubi ont pratiqué et certaines le font encore, l’une des formes les plus libres de gouvernance qui soit.

Dans leur avidité malsaine des richesses de nos terres, les Occidentaux ont altéré ou tout bonnement détruit ces systèmes fondés sur la sagesse ancestrale, en corrompant leurs dirigeants quand ils ne les remplaçaient pas par des non-initiés incapables d’accéder à la dimension rituelle de nos pouvoirs.

Aujourd’hui, nos Etats sont pointés du doigt par les descendants de ces brigands et pilleurs sans foi ni loi qui ont contribué à fabriquer des dirigeants séniles auxquels ils ont transmis cette même soif avide de richesses. Certes, l’Ancien me répond que nous n’avons en fin de compte que les dirigeants que nous méritons et qui sont conformes à notre propre maturité d’esprit. Alors reprenons notre propos sur les Us et Coutumes Kikuyu.

Un système initiatique tout aussi complexe semblable au Gada des Oromo d’Ethiopie

Bouclier de cérémonie

Les peuples Bantu semblent avoir une maîtrise calendaire des initiations assez complexe et qui s’inscrit dans le temps sur plusieurs générations. C’est le système des classes d’âges, des grades et des classes générationnelles.

Chez les Oromo le cycle était de 8 ans et comportait 5 grades pour une période initiatique qui s’étendait sur 40 ans. Une performance admirable qui a forgé l’âme patriote et guerrière de ce peuple.

Chez les kikuyu le cycle dure toute une vie avec des cycles de 9 ans. Les Kikuyu remontent leur première classe d’âge et initiation complète en l’an 1512. Si l’initiation des hommes tient une place plus importante, celle des femmes n’est pas en reste.
Comme pour le Gada ce système est si complexe que les informations dont nous disposons nous semblent très confuses ou purement académiques. Leur confusion ne relève pas des données au demeurant bien transcrites.

Celle-ci à notre avis tient du fait que ces données sont relayées par les chercheurs occidentaux qui ont certes fait des recherches sur le terrain. Mais il est hélas très difficile de rendre un propos clair quand on l’aborde sous un mauvais angle.

Nous reviendrons donc plus tard sur ces systèmes après les avoir étudiés et côtoyés plus intimement en mettant en avant d’autres aptitudes.

Une Société coutumière classique mais avec quelques particularités

L’habitat :

L’habitat traditionnel du Kikuyu comme toutes les constructions de Nubi respecte la Nature tout en se servant des matériaux les plus simples et basiques : le chaume, le bois et la terre.

En proportions, la maison kikuyu est grande comparée à celle de autres peuples comme les Masaï, les Kisii ou les Mijikenda.

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Le mariage et ses codes :

Le Kikuyu est bien entendu polygame et chaque femme a droit à sa propre maison où elle vit avec ses enfants jusqu’aux premières initiations qui changent la donne en éloignant les garçons et en préparant le mariage des filles.

Le système marital kikuyu n’est pas nécessairement exogame comme celui des Sáwá du Cameroun ou des Shona du Zimbabwe. Et on peut observer des mariages inter claniques dans bien de cas.

La Concession lignagère :

Pour ce qui est de la concession lignagère elle se compose de plusieurs habitations dévolues aux femmes et à leurs époux. Si la lignée comprend plusieurs garçons, c’est l’aîné de tous les garçons qui construit sa maison à l’entrée de la concession marquant ainsi son rôle de protecteur et de chef de la lignée.

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La pérennité du Nom et le relais ancestral :

La perpétuation du nom du père est d’une importance capitale chez les Kikuyu et l’objectif principal de chaque mâle est d’assurer sa descendance. Car sans descendance un homme est considéré comme définitivement mort.

C’est ici que le Culte des Ancêtres et la Mémoire ancestrale prennent toute leur dimension. Nous détaillerons ce point dans les Rites et Cultes kikuyu.

En Conclusion

Le voyage en pays kikuyu au Kenya ne fait que commencer. Cette étude est comme toutes les autres une petite synthèse d’une réflexion plus étayée et plus fouillée.

Certains aspects ont été laissés dans l’ombre par manque d’informations satisfaisantes pour cette réécriture objective et rigoureuse de l’Histoire des peuples de Nubi. Après cette ébauche sur les Us et Coutumes Kikuyu, rendons-nous dans les cuisines des dames et goûtons à leurs mets.

Continuons ensuite le voyage au pays de la Femme Nubi en rendant hommage à une grande Âme : Wangari Maathai notre étoile du Passé inscrite dans notre présent pour nous guider vers le futur. Nous clôturerons la semaine avec le Génie kikuyu dans ses danses traditionnelles et ses cérémonies somptueuses.
Au fait ! Qui n’a pas encore eu à admirer ces célèbres maquillages sur le visage de ces femmes et de ces hommes Bantu ?

©dohelishablog.wordpress.com
Danseur Kikuyu ©pinterest
Auteurs :
Texte : Musinga Mwa Tiki.
Recherche images & crédits photos : Mariame Kamara.
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