De la Tradition orale relayée au quotidien , une meilleure façon de « vivre » l’ancien et de le conserver
Ce n’est ni dans les livres, ni dans les écoles et encore moins de la bouche d’un quelconque prophète ou envoyé de « Dieu » que réside ce qui fait vivre, véritablement vivre, un Être humain. La Vie essentielle est dans la tradition vécue de chaque Homme.
Cet art de vivre n’a jamais cédé ni aux invasions religieuses ni à la colonisation en Afrique noire. Si ici et là les Cultes de bon nombre de nos peuples ont été remplacés par ceux venus d’ailleurs, il y a un domaine qui n’a pas été assimilé dans la plupart des groupes.
C’est la tradition qui structure la société dans son dynamisme culturel.
Dans cette sous-rubrique, nous n’allons nous servir d’aucun support écrit.
Tout est puisé dans la Vécu réel de nos Mères, de nos Pères.
Tout nous vient de leur vie, de nos vies.
C’est notre façon d’apporter, une fois de plus, un regard neuf sur notre histoire.
Pénétrons sans plus tarder dans la Tradition sáwá transmise de mère à fille , hier, aujourd’hui et écrivons le pour demain.
Introduction à la Tradition sáwá
Le peuple sáwá, comme nous l’avons vu dans nos Us et Coutumes est multilingue mais uni-culturel et cultuel, avec bien sûr des variations qui viennent de leur adaptation à leur milieu d’accueil.
Pour le cas du Cameroun, que le Sáwá soit Batánga (Kribi), Yabassi, qu’il soit Ɛwálὲ (Douala) ou Póngó (Dibombari), qu’il soit Bankóɳ (Mangamba, Bwapaki etc..) ou Bakoóko (Edéa, Dibombari), qu’il soit Basaá (Edéa) ou Ɛwodí (Île du même nom), le Sáwá, disions-nous, est un Homme d’Eau et de l’Eau.
Certains groupes, spécialement ceux qui ont conservé leur attachement à l’élément Eau partagent une tradition identique liée à cette Grande Entité qui leur a donné tout un panthéon aquatique dont l’Être vivant le plus célèbre et le plus connu est Jέngú, (pluriel Mέngú).
Toute la tradition Sáwá tourne autour de deux éléments : la maîtrise de l’eau et l’exploitation de la terre. Traditionnellement donc le Sáwá est pêcheur, agriculteur et « commerçant » car il sait échanger à son avantage ses différents produits auprès des groupes venus de l’intérieur des terres.
Si la société sáwá est dans l’ensemble patriarcale, la femme tient cependant un rôle essentiel et primordial dans la transmission, la conservation et l’application de la Tradition.
Le peuple sáwá est l’un de ceux qui a su, malgré l’invasion des religions révélées, garder quasiment intactes ses traditions culturelles. S’il a, au fil du temps, « bradé » ses Cultes antiques pour embrasser les religions importées, il a néanmoins sauvegardé, à travers sa tradition, l’essentiel de son art de vivre.
Un art de vivre où la femme tient le rôle essentiel et ce dans trois domaines clé :
- Le Mariage
- L’Art du Mwὲɓὲ (entretien d’une maison et transmission du savoir-faire culinaire, vestimentaire etc…)
- Les rites funéraires.
La Femme sáwá étudiée ici est Ɛwálέ, Ɛwodí, Póngó, Bankóɳ, Jέɓalὲ, Batánga, Balimba, etc.
La femme sáwá est la gardienne véritable des trésors de la maison de son époux.
Nous allons aujourd’hui nous pencher sur la tradition maritale sáwá.
Les multiples statuts de la femme sáwá
Lorsqu’elle sort de la maison de ses Pères elle est Ngɔndεdi (jeune vierge au sens littéral) et demeure à vie Ngɔɳ (fille) dans la maison de ses Pères.
Quand, au bout de la grandiose cérémonie du Ngɔnd’á Mukóɳ (le Mets) elle acquiert au matin de ses noces le titre de Mwato ou Muto (femme), elle est femme et le restera toute sa vie dans la maison de son époux.
Si son union est heureuse et qu’elle donne une descendance à son époux, elle acquiert le rang de Ñango (Mère) et devient la Ñango’a Mboa (la mère de la maison) de son époux avec ou sans coépouses.
Lorsqu’enfin elle est grand-mère à la ménopause, elle pénètre dans le cercle très restreint et strict des Mángɔɳ (les femmes-prêtresses gardiennes du pouvoir des rois sáwá à l’époque).
On estime que tout au long de sa vie, la femme sáwá apprend assidument de ses Mères les multiples facettes de la Tradition.
La femme sáwá est Mángɔɳ normalement chez ses Pères et non chez son époux. C’est la mère de toutes les Ngɔɳ que nous avons vu plus haut.
Et on est Ngɔɳ chez ses Pères quel que soit l’âge qu’on a.
Voyons de plus près cette tradition sáwá si bien tenue par la femme.
La femme sáwá et l’Éducation traditionnelle des filles
De Muna (enfant) à Muna Mwato (fillette) et à Ngɔndεdi (jeune fille).
Muna…
La femme dans la tradition sáwá élève dans son Mwὲɓὲ les enfants des deux sexes jusqu’à l’âge de la circoncision du garçon (âge qui dans l’ancien temps était aussi un âge initiatique, le premier palier pour devenir un homme). Le garçon quittait le Mwὲɓὲ pour rejoindre la case des garçons.
La fille était dans la pure tradition « asexuée » jusqu’à ses premières menstruations. Elle commençait alors son apprentissage dans le Mwὲɓὲ de sa mère en tant que Muna mwato (muto) ou petite fille.
Muna Mwato (Muto)…
C’est au cours de cette période qu’on lui apprend tous les travaux inhérents à l’entretien de la maison, depuis la cuisson des aliments jusqu’au dressage du lit de la chambre de TƐtὲ son père.
L’apprentissage est rigoureux et ponctué de corrections physiques exemplaires si la fille se rebiffe ou fait preuve de paresse.
La femme sáwá a la réputation d’être très attachée à la tradition et abhorre la honte en tâchant de tout temps d’élever ses filles dans le respect de ces préceptes.
Muna Mwato (Muto)…
Il est donc rare, croyez-le, et c’est une abominable anomalie, de rencontrer même de nos jours, pour celles qui appartiennent aux familles traditionnelles, une fille sáwá qui ne sait pas « tenir » une maison.
C’est dans cette adolescence qu’on nous apprend l’art culinaire et son mélange d’épices uniques.
On nous apprend comment tenir une cuisine, depuis le récurage de nos célèbres marmites en fonte qu’on appelle « makokote », jusqu’aux assortiments de plats, assiettes et autres couverts.
Ngɔndεdi et son mariage traditionnel.
Lorsque la Muna Mwato (Muto) est jugée prête, les tantes entrent en contact avec leurs consœurs d’autres clans.
À noter que le Sáwá pratique l’exogamie depuis la nuit des temps. La petite fille est devenue une Ngɔndεdi, une vierge à marier.
Ceci nous amène donc naturellement à examiner le premier point essentiel de la tradition maritale sáwá.
La Ngɔndεdi à marier est considérée dans la tradition comme une FLEUR plantée au milieu de la Cour (Ɛɓoko) de Tεtὲ, son père. Le mariage comme la mort est une affaire familiale, communautaire et jamais individuelle. Aucun homme sáwá ne marie sa fille sans aviser et solliciter l’assistance de ses frères et de ses pères.
La FLEUR est veillée nuit et jour par les Baáto (femmes) et les Ngɔɳ (filles) de tout le clan.
Et dans l’ancien temps, sa virginité était contrôlée de manière assidue par la Première Mángɔɳ à l’aide d’un œuf pondu par une poule de la concession.
Si l’examen était concluant l’œuf servait à « nettoyer » la vierge. Tâche dévolue à la Mángɔɳ Nganga.
Principales étapes d’un mariage traditionnel sáwá
Jumba la Jombὲ = Frapper à la Porte.
Lorsque la FLEUR a finalement trouvé un « Cueilleur », celui-ci accompagné par ses pères (père, oncle, grand-père), ou ses frères, vient « frapper » à la porte du Père.
Cette étape s’appelle « Jumba la Jombὲ » littéralement « Frapper à la porte ».
La Femme durant cette étape n’est pas directement sollicitée. Elle s’assure que la future belle famille est bien reçue et s’éclipse.
Cette première partie concerne généralement les hommes et c’est le Père de la jeune fille qui agrée la demande.
Il informe ensuite l’épouse qui aussitôt met en branle une série d’étapes ordonnées qui devront aboutir au mariage.
Le Père convie enfin ses frères (utérins, consanguins, cousins) et ses oncles paternels.
La tradition maritale chez le Sáwá est une affaire « d’hommes » orchestrée par les « femmes ».
Tεlὲ l’εwandὲ = l’Ouverture des fiançailles.
La seconde étape associe la femme qui doit faire « bonne impression » à la famille du fiancé au cours de l’ouverture des fiançailles «Tεlὲ l’εwandὲ».
Les fiançailles peuvent être plus ou moins longues et tout dépend de l’aisance matérielle du futur époux.
S’il est bien nanti, il va s’acquitter de la dot demandée, parmi laquelle figure toujours une chèvre, symbole marital qui perdure encore dans la plupart des familles chrétiennes ou non.
Bεdεdi ɓá Itumba = Le repas de la famille clanique.
Vient ensuite le Repas de la Famille clanique « Bεdεdi Ba Itumba » fête grandiose à laquelle assistent les deux familles.
C’est la famille de la fiancée qui reçoit la famille du fiancé. Et c’est au cours de cette cérémonie que ce derniers donne la dot demandée.
Celle-ci varie en fonction des clans mais demeure dans l’ensemble identique avec comme pièces maîtresses :
- La chèvre
- La cantine de la mère de la fiancée
- Le « costume » du père de la fiancée (ici Pagne en velours côtelé noir, chemise blanche, chapeau feutre noir)
Quelques autres produits de consommation courante.
Une enveloppe symbolique dont le montant à l’époque était au départ laissé à la discrétion du fiancé.
Aujourd’hui il est déterminé par le père de la fiancée.
La famille de la fiancée rentre enfin en possession de ces différents produits qui dans l’ancien temps pouvaient servir à doter une autre femme dans un autre clan.
Au cours de ces étapes bien plus complexes et plus minutieuses, la famille du fiancé jugera de la bonne tenue de la fiancée et de sa mère, plus particulièrement.
Cet aspect de la Tradition demeure encore d’actualité de nos jours.
On calquera donc le comportement de la fiancée sur celui de sa mère. Voilà pourquoi la femme sáwá est autant attachée à sa Tradition quelle que soit sa religion.
C’est la Tradition qui l’emporte quand il s’agit des points essentiels de la vie tels que le mariage, la mort, les relais coutumiers.
Modalités pratiques du mariage Sáwá
Il faut souligner que le certificat de mariage coutumier ou contrat de mariage coutumier signé entre les deux familles est aussi en vigueur et a eu préséance pendant longtemps sur l’union civile occidentale.
Et des couples, qui au mépris des traditions, se sont mariés sans consentir à cette lourde et honorable coutume maritale, très souvent, sont mis au ban de la société.
La femme « non dotée » selon la coutume demeure une « honte » pour sa mère.
Et des drames s’étant parfois soldés par mort d’épouse non dotée émaillent l’histoire de cette tradition maritale qu’aucune religion révélée même en ce 21ème siècle n’a réussi à faire reculer.
Le rôle de la femme est donc de s’assurer que ses filles vont être mariées dans le respect de la tradition maritale.
Il est vraiment bon pour une Ñango’a Mboa respectable d’offrir, le jour du mariage, ce qu’elle et ses consœurs, les Bito de son clan de mariage ont préparé.
Ce mets mystique, ce plat qui défie le temps mais qui pourtant est consommé aujourd’hui par le profane comme un aliment juste délicieux, oui ce Ngɔndɔ (tout est dans l’intonation, à ne pas confondre avec le Ngóndó, cérémonie cultuelle et culturelle de fédération du Grand sáwá), ce Ngɔndɔ préparé pendant trois jours et trois nuits dans l’ancien temps, est le jugement final et l’apothéose d’une cérémonie maritale sáwá.
Décomposons brièvement ces étapes.
Le Trousseau de la mariée et son Abεlέ pour l’accompagner chez son mari.
Il faut préciser que traditionnellement Abεlέ n’existait pas dans sa forme actuelle et ne s’appelait pas ainsi.
Les femmes munies des traditionnelles mikέng (singulier mukέng, cloche sur laquelle on frappe à l’aide d’une baguette en bois), des misὲsὲko (singulier musὲsὲko , maraca sáwá) formaient la procession pour transférer le trousseau de la mariée de la maison de son père à celle de son époux.
Aujourd’hui la cérémonie s’est enrichie d’apports nouveaux tel ce fameux orchestre joué par les hommes et appelé Abεlέ .
Revenons à nos noces :
Après le Repas des Familles, et la signature du contrat coutumier (avant, celle-ci était faite verbalement lors d’une cérémonie rituelle), le couple est considéré comme mari et femme.
Cependant, la mariée demeure encore chez son père jusqu’à son « ravissement ». C’était la procédure dans l’ancien temps.
De nos jours, le rituel s’est enrichi d’apports occidentaux judicieusement introduits dans la cérémonie tel qu’un authentique trousseau composé de pièces maîtresses que nous allons détailler plus bas.
Avant la préparation du Ngɔndɔ, la Mère et ses coépouses (entendez les autres femmes épousées par les hommes du clan du Père) qui se sont attelées à la sélection de nos fameuses graines de courges doivent à présent préparer le trousseau de la fiancée.
Composition du Trousseau.
Ce trousseau indispensable est essentiellement composé de linge de maison (parures pour lit et autres accessoires) et de la « cantine » contenant les habits et autres falbalas de la mariée.
Le linge pour le lit à l’époque blanc était brodé à la main par les spécialistes du clan et si besoin par d’autres femmes de bonne volonté.
Aujourd’hui avec l’évolution, il adopte d’autres couleurs pastelles du plus bel effet. Le point d’orgue de cette quatrième parade est donc ce qu’on appelle Abεlέ.
Abεlέ et sa farandole.
Abεlέ est une fête essentiellement composée de femmes des deux familles de la mariée (paternelle et maternelle) et de leurs musiciens (hommes) qui a lieu le matin de la cérémonie.
Dans l’ancien temps, la fiancée était « ravie » le soir de l’Abεlέ par les gaillards lutteurs de Bεsua (combat de corps à corps) qui avaient pour mission de « l’emporter » par la force simulée à dos d’homme jusqu’au domicile de son mari.
Les cris de la « Ravie » devaient ponctués ce chemin et à ces cris le chant rituel des « ravisseurs » répondait et nul ne sortait pour voir ce qui se passait.
Aujourd’hui, l’Abεlέ a lieu le matin de la signature de l’acte de mariage devant le maire que suit bien souvent la bénédiction nuptiale dans une église quelconque.
Le trousseau ainsi constitué est disposé dans une grande bassine en aluminium.
Il se compose de deux oreillers, d’un traversin, de rideaux, couvre-lits et autres accessoires. Tout cela habillé par le linge brodé des mois plus tôt.
La cantine de la mariée est portée si elle est lourde par un grand garçon de la cour paternelle, autrement, une autre femme pas nécessairement vierge la portera posée sur un coussinet (ikáná) sur sa tête. Quant à la bassine, son port revenait à l’époque à une vierge.
Aujourd’hui, avec l’évolution elle est portée par la femme du clan encore jeune et ayant prouvé sa fidélité et son respect aux hommes de son clan.
Pour la cérémonie d’Abεlέ toutes les femmes et leurs musiciens portent le même tissu. La coupe peut être imposée ou libre. Et dans ce second cas plus courant, les femmes sáwá font preuve d’une créativité admirable.
Le trajet de la parade : du domicile de la mariée à celui du marié.
Comme traditionnellement, il s’agissait souvent de deux familles sáwá, celle du marié, le matin de l’Abεlέ , avait déjà préparé la maison du marié. La chambre étant la pièce qui nous intéresse ici.
Cette chambre va donc bénéficier d’attentions particulières d’abord de la part de la famille du marié. Tôt le matin, ses Mères et ses sœurs vont la préparer avec du linge neuf, généralement d’une autre couleur que le blanc de la mariée. Depuis les rideaux aux fenêtres jusqu’à la jetée du lit, tout se doit d’être harmonieux.
À ce sujet, la femme sáwá a la réputation de posséder un savoir-faire inégalé en matière de « tenue » d’une maison. C’est un fait avéré qui fait de ces femmes des épouses prisées par les peuples de l’intérieur.
La chambre ainsi préparée attend donc l’arrivée du trousseau de la mariée. Et nous voilà partis aux sons de notre Abεlέ dans une farandole inénarrable !
Ah ! ɓa Ina ! Il faut le vivre ! Il faut le voir ! Il faut y participer ! Ah ! ɓa Ina ! Les musiciens sous un rythme syncopé, endiablé, enlevé, relevé, mettent au supplice joyeux les corps de nos danseuses.
Et c’est ainsi que la procession peut traverser une ville d’est en ouest sans faiblir. Elles dansent. Elles chantent. Voitures croisées et piétons désœuvrés peuvent les accompagner, les unes avec leurs klaxons les autres en se joignant pour quelques mètres au cortège.
Puis, apparaît au bout de ce « délicieux » effort la concession du marié. Dans la cour les femmes du clan du marié attendent de pied ferme.
C’est ici que la partie « se complique » et que se déroule le rite des « insultes ».
Les « insultes rituelles » du jour des noces.
Si la concession est dotée d’un portail celui-ci est symboliquement clos. En l’absence de portail c’est la porte de la maison du marié que les femmes trouvent close.
Alors la Mángɔɳ en chef frappe neuf coups contre le bois en chantant :
Biñɔ Tεlὲ di Jombὲ lañú! Ouvrez votre porte!
Elle est reprise par ses compagnes et ce n’est qu’au bout d’un temps plus ou moins long que la porte va s’ouvrir. Et là encore ce sont les femmes de l’autre clan qui les reçoivent.
Les « insultes » peuvent commencer. Et tout cela en chansons dont une bonne partie est issue d’une improvisation admirable. En voici un échantillon :
Clan du Marié : Mais pourquoi faites-vous autant de bruit ? Que voulez-vous ?
Clan de la Mariée : Poussez-vous ! Nous venons vous apporter le bien-être et la lumière dans cette maison !
Clan du Marié : Voyez-vous ça ! Mendiantes que vous êtes ! Qu’est-ce que votre fille peut apporter de plus dans ce palais ?
Clan de la Marié : Oooooooooooooo ! ils appellent ce gourbi où même un porc n’oserait pas vivre un palais ! C’est notre fille qui va transformer ce taudis en palais eehhh ouiiiii !
Clan du Marié : Votre pauvre fille qui épouse notre fils et frère pour son argent ? Laissez-nous rire !
La Mángɔɳ en chef : Et voilà ! Ne lui ai-je pas demandé : A (suivi du prénom de la mariée disons Mina) A Mina o nὲndὲ έέέέ ? Mina veux-tu vraiment partir ?
Tout le Monde : Mɔ nɔ εεεεεε ! Elle répond Ouiiiii ! Mángɔɳ : A Mina o nὲndὲ o mboa ɓáɳ ɓato ɓá ndímá έέέ ? Mina tu veux vraiment aller chez ces gens sans manières (famille du marié)
Tout le Monde : Mɔ nɔ εεεεεεεε !!! Ndóló é kati mɔ ! Elle répond ouiiiii ! L’amour l’a prise dans son piège.
La famille du marié prend le relais et c’est dans cette ambiance survoltée que Mángɔɳ et ses deux ou trois suivantes se frayent un chemin jusqu’à la maison. La mère du marié et ses coépouses les accueillent et les conduisent dans la chambre.
La préparation de la chambre des mariés.
La pièce est méthodiquement « déshabillée » sous le regard attentif de la belle-famille à laquelle la Mángɔɳ remet le linge ainsi plié.
Puis la chambre est laissée entre les mains de la famille de la mariée qui va « l’habiller » avec le linge immaculé décrit plus haut.
Pendant ce temps, les musiciens jouent toujours et les femmes des deux clans se déhanchent au rythme de leurs chansons provocatrices.
Avant le dressage du lit, Mángɔɳ prononce les paroles rituelles et dépose entre et autres objets le Nsɔtὲ de la protection et de la fertilité sous les oreillers des mariés. Elle en égrène un et lance ses graines à travers toute la pièce en bénissant en appelant la protection des BaMbambὲ (Ancêtres) sur le couple. Ensuite tout est monté.
Quand la meneuse de la danse aperçoit la Mángɔɳ sur le seuil de la porte elle comprend que le moment de se retirer est venu.
La chambre est fermée et la clé confiée à une vierge dans l’ancien temps. Et c’était cette vierge qui s’installait devant la porte sur un banc. On lui apportait à boire et à manger.
Elle ne donnait la clé qu’au mari qui la remerciait le lendemain en faisant porter chez ses parents un cadeau. La vierge qui veillait était issue de la famille de la mariée.
Il faut signaler que la fiancée ou mariée n’assiste jamais à sa cérémonie d’Abεlέ dans la tradition. L’époux par contre peut suivre de loin mais n’a pas le droit d’intervenir ni aucun autre homme de sa famille.
Abεlέ est une affaire de femme une fois de plus.
Après un dernier tour d’honneur, nos danseuses et leurs musiciens s’en vont non sans avoir été bien « reçus » par la famille du marié qui malgré ces « insultes » rituelles se doit de nourrir et d’abreuver convenablement la belle-famille. Mángɔɳ reçoit normalement de la mère du marié « une enveloppe » en nature dans l’ancien temps, en espèces de nos jours.
Après cette cérémonie de « dépôt » du trousseau de la mariée, dans l’ancien temps, la famille de la mariée attendait que celle-ci soit « ravie ». Et tant que cela n’était pas fait, la vierge devant la porte était intégrée dans la famille du marié et très souvent, elle n’en repartait pas. Car, un jeune noble qui l’avait « remarquée » la choisissait comme épouse.
Dans les temps anciens, dès que la mariée était « ravie » selon le procédé déjà décrit, elle était directement conduite chez son époux.
Le marié qui avait récupéré la clé de sa chambre condamnée jusqu’à l’arrivée de sa femme rouvrait celle-ci. Et on y déposait la mariée dans le plus simple appareil. La coutume ancienne veut que la mariée soit ravie au sortir de son bain alors qu’elle n’est vêtue que de son pagne. Et c’est ainsi qu’elle va voir son époux. Plus souvent elle ne l’avait aperçu que de façon fugitive.
La joute amoureuse se soldait par la remise du « drap taché » à la mère de la mariée. Eh oui! Ce drap était remis à l’aube avant la cérémonie du Ngɔndɔ. Il faut comprendre que ces deux cérémonies étaient liées. Et quand Ngɔndɔ était bien cuit les femmes s’écriaient :
Ngɔɳd’έ ɓέï ! Mwato pὲ a ɓέï ! Le Ngɔndɔ est cuit ! La femme aussi est cuite !
Le rituel du Ngɔɳdɔ
Les Mères de la mariée étaient prévenues une semaine avant le « ravissement » de leur fille par la famille du marié. La seule à n’être pas dans le secret était très souvent et à coup sûr, la mariée.
Ce temps leur était imparti afin qu’elles commencent la préparation du Ngɔndɔ.
Nous l’avons vu, les ingrédients du Ngɔndɔ prennent des mois pour être réunis. D’abord le choix des grains de courge. Le dosage devait être juste. Une part de grains de courge effilés contre deux parts de graines de courge ronds et fins.
PHASE N° 1 : Choix et fumage du poisson.
Ensuite le fumage du poisson était une opération délicate. Dans l’ancien temps, les pères pêcheurs pouvaient soit faire fumer le poisson directement au Diɓɔ (la jetée où se passaient toutes les transactions) et le transportaient ensuite dans les Miὲɓέ (singulier Mwὲɓὲ) soit ils rapportaient du poisson frais et les femmes s’occupaient de le fumer. Les Mángɔɳ seules habilitées à préparer le Ngɔndɔ préféraient de loin fumer leur poisson.
Tous les poissons ne sont pas bons pour cette cuisson. Wángá (grosse carpe grise ou rose) et mwaɓo (barracuda) ont la préférence de ses dames. Ensuite on leur adjoint l’incontournable mukanjo (la morue séchée non salée). Le Ngɔndɔ traditionnel de mariage est à base de poisson uniquement.
Le séchage du poisson peux prendre plusieurs semaines. Il ne doit être ni trop sec ni trop mou.
PHASE N° 2 : Préparation d’autres ingrédients.
Ensuite les Báato (femmes) s’attèlent à la sélection des krills, petites crevettes minuscules et succulentes qui ne se consomment que séchées. On les appelle Iɓánga en ngál’εpongwὲ ou Póngó. Iɓánga est un exhausteur de goût naturel.
Vient ensuite le ramassage ciblé des œufs de poule qui doivent servir à la confection du Ngɔndɔ.
Nous avons eu la chance, toute jeune, d’assister à la confection d’un Ngɔndɔ nuptial et notre grand-mère Iyo Mbapὲ, la Mángɔɳ de son clan et la Ñango’a Mboa de celui de son époux notre grand-père, premier né chez les Bona Loɓὲ de Bwataka (Dibombadi) qui officiait.
Nous avons sélectionné les œufs de poule. Oui ! oui ! C’était notre tâche à nous. Et ni les fientes qui collaient à ces satanés œufs, ni les caquètements des pondeuses énervées ne nous auraient découragés pour accomplir notre mission!
Ensuite elle nous assignait au tri de l’Iɓánga. Oui et oui ! Un travail minutieux au cours duquel il faut séparer le krill minuscule des petits poissons et autres déchets.
Revenons une fois de plus à ce rituel qui hélas n’est plus de nos jours respecté. Ce qui entraîne une flopée de Ngɔndɔ non « cuits » qu’on essaie d’escamoter au public.
Donc sur les 7 jours qui leur étaient impartis, nos Báato (femmes) s’attelaient aussitôt à leur tâche.
Les graines de courges préalablement lavées et séchées sont mises à broyer finement sous des meules de pierre. Exercice qui va prendre une bonne journée et épuiser une dizaine de femmes, toute ménopausées ou alors « sèches » comprenez qu’elles n’ont pas leurs menstruations.
C’est au cours de cette première journée que tous les ingrédients sont apprêtés. Le Ngɔndɔ est le seul mets qui traditionnellement n’est pas épicé.
Comprenons qu’aucun piment n’y a droit de cité car la graine de courge est connue par nos Ancêtres pour ses qualités laxatives et autres.
Le second jour la pâte obtenue est placée dans des grandes bassines et recouverte par des feuilles de bananiers et le tout rangé dans la cuisine créée pour la circonstance et consacrée par la Mángɔɳ-Mwato (Muto) du clan.
Phase N° 3 de la préparation du Ngɔndɔ.
Vient ensuite le « dépeçage » du poisson. Les arêtes sont minutieusement enlevées des morceaux de poissons justement fumés et qui dégagent une bonne odeur de fumaison et de salaison absolument irrésistible. Avec le tri des krills nous avons rempli la seconde journée. Oui ! Je vous assure !
Le foyer est allumé le soir du troisième jour.
Et quand de ses fenêtres la mariée voyait s’élever cette flamme magnifique et majestueuse elle comprenait toute seule que l’heure était proche. Alors des crises de larmes succédaient aux moments d’euphorie.
Phase N° 4 : La préparation du foyer
Le foyer au préalable était travaillé par la Mángɔɳ assistée par ses suivantes TOUTES ménopausées et privées de rapports sexuelles depuis plusieurs mois voire des années. Ce sont ces femmes habituellement veuves et « pieuses » qui préparaient le Ngɔndɔ. La Mángɔɳ qui préparait le feu n’avait pour tout vêtement que ses jupons et rien d’autre.
À l’époque moderne elle peut garder son soutien-gorge. Et c’est dans cette tenue qu’elle appelait son Jέngú. Elle invoquait les Ancêtres et « blindait » le foyer afin que la cuisson du Ngɔndɔ qui allait durer au moins deux jours fût un succès.
Lorsque le feu avait été préparé, on le laissait brûler jusqu’au matin sans l’alimenter mais en veillant à ce que les braises ne s’éteignent pas.
Très tôt le lendemain du quatrième jour, Mángɔɳ alimentait le feu avec un bois spécial.
Mángɔɳ posait donc ce gros morceau de bois en prononçant les paroles rituelles adaptées.
Pendant la nuit les assistantes avaient tout apprêté : depuis le sel jusqu’au plantes qui doivent intégrer la pâte des graines de courge.
Phase N° 5 : Le mélange du Ngɔndɔ
C’est Mángɔɳ qui procédait au mélange de tout. Dans la grande bassine le mélange s’effectue avec les deux mains. L’eau est ajoutée à la pâte des graines de courges, par palier, ensuite du sel, des œufs préalablement battus par les assistantes et assaisonnés par des épices spéciales.
Le poisson est intégré puis les krills grossièrement écrasés. Pendant ce temps, les feuilles de bananier sélectionnées ont été passées au feu depuis l’aube et les cordes elles aussi issues du tronc de bananier sont prêtes.
Commence alors la partie la plus délicate : obtenir un Ngɔndɔ qui pèse pas moins de 5 kilos et avec environ 30 centimètres de long. C’est un « bébé » ce Ngɔndɔ qu’on met ensuite à cuire dans la plus grande marmite de l’époque.
Et il cuira pendant 3 jours et trois nuits.
Au soir du 7ème jour, lorsque la mariée est « ravie », le Ngɔndɔ finit de cuire pour sa troisième nuit.
Phase N° 6 : La nuit de noces selon la tradition Sáwá BoMbɔngɔ.
Relatons cette tradition comme elle se pratiquait dans l’ancien temps. Elle existe certes encore de nos jours, mais comme la plupart des couples vivent déjà ensemble, leur nuit de noces au bout de ces différentes étapes n’a donc aucun intérêt.
Retrouvons plutôt Ngɔndεdi Mina (Mina signifie les noms en duala) au soir du troisième jour de cuisson du Ngɔndɔ.
Il faut relever que pendant toute la semaine où se déroule la cérémonie préparatoire du Ngɔndɔ, l’Ɛɓoko de Tεtὲ résonne de chants. Les femmes entonnent sans faiblir le Ngos’εyὲngὲ qu’elles alternent avec l’εsὲwὲ.
Aucun homme ne doit être vu à proximité de l’aire où ont été bâtis la cuisine temporaire et son foyer (Mwὲɓὲ na diɔ). La seule participation des hommes aura été de construire l’espace ensuite de le céder aux femmes.
Nos femmes chantent et dansent pendant ces sept jours. La Mángɔɳ-Mwato ne quitte que très rarement son foyer. Elle veille assistée de ses suivantes au mets.
Les premières dégustations de petits mikóɳ má Ngɔndɔ interviennent dès le second jour. L’assaisonnement est parfait quand les hommes de la famille à qui on servira ces mikóɳ (singulier mukóɳ) les auront appréciés.
Alors tout le monde prie afin que le Ngɔndɔ de la noce cuise jusqu’à son cœur.
Ngɔndεdi Mina est ravie au soir du troisième jour de cuisson. Et toute cette dernière nuit la Cour de Tεtὲ devient subitement silencieuse. Plus un bruit. Plus une chanson !
C’est l’une des rares fois où il va s’adresser directement à sa belle-mère. Il l’appelle par son nom d’épouse et lui confie le drap.
Et il lui exprimera, avec des mots cryptés, sa satisfaction pour la virginité de son épouse.
Cette tradition était l’une des plus « terribles » pour les jeunes filles de l’époque. Parce que le drap éloquent faisait le chemin inverse de l’Abεlέ brandi au-dessus des têtes des femmes. Tout le village était donc informé que telle mère était une épouse digne pour avoir préservé ceci.
Dans les Mwὲɓὲ les femmes se préparent. La mère de la mariée accompagnée de deux ou trois Mángɔɳ se rend très tôt à l’aube dans la concession de son gendre. Elles sont accompagnées par deux grands garçons qui feront office de messagers.
4 heures du matin doivent trouver ces nobles dames devant la concession de la belle-famille où elles sont reçues par des salutations silencieuses et rituelles par leurs homologues.
Une heure plus tard, la cour du marié est remplie d’ombres silencieuses. Et lorsqu’enfin l’époux apparaît portant le drap blanc, des soupirs de soulagement gonflent toutes les poitrines.
Phase N° 7 : La coupe de Ngɔndɔ.
Le Ngɔndɔ accompagné d’autres mets était ensuite transporté au domicile des mariés.
Commençait une autre épreuve toute aussi terrible.
Aujourd’hui une bonne majorité de ces Ngɔndɔ a la réputation de « sortir crue » parce que malheureusement la tradition est de plus en plus bafouée. Le Ngɔndɔ de Mina logiquement « sort cuit », parce que tout avait été fait dans le respect des règles.
La coupe du Ngɔndɔ nécessitait elle aussi un rituel particulier. Un grand couteau spécialement acheté pour servir à cette coupe et bien aiguisé puis « préparé » était posé aux côtés du Ngɔndɔ sur son lit de verdure. C’est l’époux qui habituellement donne l’ordre que le Ngɔndɔ soit coupé par une Mángoɳ.
Alors quand le moment était venu, la Mángoɳ qui s’y collait entonnait un chant adressé au couple:
« A báná bamὲ ! Na kὲ Ngɔndɔ έέέ ? Mes enfants voulez-vous que je coupe le Ngɔndɔ. »
À ce stade si l’époux doutait des intentions de sa belle-famille et qu’il voulait épargner à sa femme honte et railleries, il pouvait répondre :
« Kὲm ! O si kὲ Ngɔndɔ ! Na sáwá εbúlá ! Non ne coupe pas ce Ngɔndɔ! Je paierai l’amende. »
Parce que le refus de coupe du Ngɔɳdo soumettait l’époux à une amende dont il devait s’acquitter auprès de la Mángoɳ.
En revanche si le couple était confiant il répondait : « Ɛ Kὲ Ngɔndɔ ! Oui! Coupe le Ngɔndɔ! »
Mángoɳ posait la question 9 fois et toute l’assistance lui répondait 9 fois ! Alors elle plongeait la lame dans la masse du Ngɔndɔ… moment insoutenable qu’elle faisait durer à dessein ! Puis lentement, elle retirait le couteau … si la lame ressortait sèche et propre, le Ngɔndɔ était cuit. Les fêtes pouvaient continuer.
De nos jours la coutume existe toujours. Le Ngɔndɔ se déguste chez la famille de l’homme le lendemain des noces.
Il réunit les deux familles autour d’un repas offert par la mère de la mariée. La famille du marié se chargeant des boissons.
Ce repas se termine avant la tombée du soir, car la famille de la mariée ne doit pas s’attarder pour respecter la tradition.
Wanga Baáto = Le Sel des femmes.
Coutume qui se serait instaurée du fait de la pénurie de cette denrée que les Sáwá ne produisent pas. Pénurie qui avait frôlé le seuil critique lors de la seconde guerre mondiale.
Alors, pour ne pas manquer de sel pour leurs femmes, les Sáwá inclurent dans le rituel du mariage, le Wanga Baáto.
C’est le sel que doit offrir l’époux à toutes les Baáto (femmes) du clan paternel de son épouse. Cette dernière étape clôturait ce lourd cérémonial. Avec Wanga Baáto, l’homme pouvait considérer que sa femme lui était définitivement acquise.
Aujourd’hui, chaque femme sáwá élevée dans le respect de ces valeurs les perpétue où qu’elle soit. Elle peut vivre des années loin de sa terre avec son époux, mais le jour où elle consent à rentrer, elle doit s’assurer que son compagnon est en « règle » auprès de sa famille. Et peu de familles consentent à passer outre à cette tradition.
Conclusion
Nous avons vu, tout au long de cette étude que la femme et la tradition sáwá ont connue une évolution dans l’application des rites et des coutumes.
Nous avons vu les désastres que pouvait causer le non-respect de certains rites. Cependant, dans l’ensemble il est à noter que la tradition du mariage chez les Sáwá a encore de beaux jours devant elle.
Notre prochaine étude sera consacrée à l’autre tradition séculaire des sáwá : les traditions mortuaires uniques et complexes.