Ngugi Wa Thiong'o
Ah ! quel Nubi que cet Auteur !
Quelle Âme droite que ce Kikuyu !
Cette Âme, elle aussi forgée sur les pentes du Kirinyaga, comme Dedan Kimathi, comme Wangari Maathai.
Quel homme volontaire qui n’accepte aucun compromis quand il est question de la défense des intérêts des siens !
Une idéologie forgée par les combats des aînés
Sa mère, élevée dans la tradition Kikuyu, est épousée en troisième noce par un paysan Kikuyu, installé à Kamirithu près de Nairobi. Le 5 Janvier 1938, la cinquième âme issue de leur union s’incarne. Ngugi Wa Nducu nomme son fils Ngugi Wa Thiong’o.
Il ne le sait probablement pas, mais ce-dernier sera une des figures de la révolution intellectuelle au Kenya, un Guerrier actif de la renaissance Nubi.
Le Kenya est encore une colonie Britannique, et les Agikuyu, anciens maîtres des lieux se voient depuis quelques décennies déjà relégués au rang de serviteurs très souvent expropriés de leur terres, ce qui, dans la Tradition est quasiment un signe de déchéance.
Les pentes du Kirinyaga sont donc transformées en de vastes plantations de cacao et de café.
Les Agikuyu perdent, les uns après les autres, leur principal moyen de subsistance. L’enfance de Ngugi Wa Thiong’o sera donc profondément marquée par ce contexte.
Il partagera se pan de sa vie dans une de ses œuvres les plus récentes : Dreams in a Time of War : A Childhood Memoir (paru en 2010).
Il fait ses premières armes à l’école de la mission presbytérienne de l’église d’Ecosse. Puis, en 1949, à 11 ans, il intègre l’école nationaliste indépendante de Karing’a.
Il est forcé de parcourir quotidiennement de grandes distances pour se rendre à l’école.
Grâce à des qualités intellectuelles impressionnantes pour son âge, il obtient une bourse pour poursuivre des études secondaires à l’Alliance High School, le seul établissement scolaire secondaire kényan à former des Nubi. Ngugi Wa Thiong’o poursuit donc son instruction en anglais.
Son adolescence entière sera bercée au son des revendications des Mau Mau, et son idéologie forgée avec le courage et l’entièreté de personnages fameux tels que Dedan Kimathi.
Dès lors, inutile donc de préciser que notre futur Auteur a en lui une Âme de Guerrier.
Son cursus universitaire l’emmène à Kampala, à l’Université de Makere (rattachée à l’Université de Londres), qui est alors le seul établissement universitaire de Nubi Est.
C’est donc loin de la terre devenue moins fertile de Kamirithu qu’il va continuer à forger ses armes, des lames tranchantes lorsqu’elles sont utilisées par un esprit qui a prouvé sa droiture : Les Mots.
Ngugi Wa Thiong’o est droit, Ngugi Wa Thiong’o aime les mots. Loin du tumulte des violences, son talent va alors éclore et éclabousser l’univers de la Littérature moderne.
Premiers pas sur la scène littéraire
C’est par le théâtre qu’il se fera connaître. Sa pièce, L’Ermite Noir parue en 1962, qui fait écho à l’indépendance du Kenya, et se pose en signe annonciateur de celle du Kenya, fait l’unanimité dans le monde littéraire.
« Ngugi speaks for the continent ». C’est ainsi que Le Makererian (le journal universitaire) titrait l’article dédié à l’auteur et à sa pièce à succès.
L’histoire débute dans un village en terre Nubi. Nyobi se plaint chez Thoni que son plus jeune fils a choisi d’aller vivre loin, dans la grande ville, ignorant ses devoirs dans la maison. La personne qui souffre le plus de l’absence prolongée de Remi est sa femme, qui attend son enfant.
Le chef du village prend donc la décision d’aller retrouver Remi pour le persuader de rentrer à la maison. Ce-dernier est le meilleur espoir de développement pour le village. Mais il semble que son départ soit intimement lié à sa nouvelle religion : le christianisme.
Galvanisé par ce succès et inspiré par les nouvelles perspectives auxquelles ouvraient les indépendances des pays Nubi avec en tête le Kenya, Ngugi Wa Thiong’o écrit, écrit et écrit encore.
Il travaillera à l’écriture de pas moins de 12 œuvres dont:
- 8 histoires courtes
- 2 pièces de théâtre
- 2 nouvelles
- Et ajoutons à cela « As I See It », une chronique qu’il rédige régulièrement pour le Sunday Nation.
Parmi ces œuvres, la nouvelle Weep Not Child (Ne pleure pas, Enfant), parue en 1964 et qui est chaleureusement accueillie par les critiques littéraires.
Le jeune Njoroge est envoyé à l’école par sa mère. Il est le premier de sa famille à avoir la possibilité de s’y rendre. Ils vivent sur les terres de Jacobo, un Nubi qui s’est enrichi grâce au commerce avec les marins, notamment M Howlands, le plus puissant propriétaire terrien de la région. Ngotho, le père de Njoroge est un homme respecté dans la région. Il travaille dans les champs de M Howlands plus dans le but de préserver la terre de ses Ancêtres que pour une quelconque rémunération.
Un jour, une grève des travailleurs Nubi a lieu. Ngotho hésite quant à y participer, car il sait qu’il peut perdre son travail.
Finalement, il s’y rend, et ce malgré les avertissements de ses femmes. Pendant la manifestation, Jacobo apparaît avec un inspecteur de police Blanc. Il espère ainsi pouvoir mettre fin à la grève de manière pacifique.
Ngotho attaque Jacobo, et il en résulte un chaos qui causera la mort de deux personnes.
Jacobo survit à l’attaque, et jure de se venger. Ngotho perd son emploi, et sa famille est forcée de quitter la région. L’éducation de Njoroge est dès lors assurée par ses frères.
Une nouvelle dimension
Après ce bref passage en tant que journaliste chez Sunday Nation (Kenya), Ngugi s’envole pour l’Université de Leeds où il entame des travaux de recherche. L’écrivain rédige alors A Grain Of Wheat (Et le Blé Jaillira) qui paraît en 1967, c’est son premier succès international.
Dans cette nouvelle, il innove dans sa manière d’écrire.
La nouvelle parle de différentes histoires ayant lieu pendant l’état d’urgence lors de la lutte d’indépendance au Kenya (1952-1959).
Le personnage principal est le silencieux Mugo, dont la vie est basée sur un sombre secret.
L’intrigue tourne autour des préparatifs du Uhuru day (jour d’indépendance) dans son village natal.
Le Général R et Koinandu prévoient ce jour-là, d’exécuter celui qui a trahi Kihika, un héroïque combattant de la résistance.
Le succès de cette œuvre réside, non seulement sur les thématiques lourdes de sens abordées, mais aussi dans cette écriture non linéaire qui permet d’accéder en même temps à diverses histoires, divers points de vue.
Premier retour au Pays
1967 sonne le retour définitif dans son Kenya natal. Ngugi Wa Thiong’o est alors conférencier en littérature anglaise à l‘Université de Nairobi.
Jusqu’en 1971, il travaille de concert avec les départements de Littérature d’autres Universités, notamment celle de Makere.
Le désormais célèbre Auteur est au centre des décisions concernant les départements de littérature anglaise des Universités Nubi. Il milite pour un changement de vision, et non des moindres.
Il demande à ce que dans les Université Nubi, soit étudiée la Littérature Nubi. Et que les autres littératures (notamment l’anglaise) ne soient étudiées que par rapport à la première.
Il forme avec Taban Lo Liyong (1) et Awuor Anyumba (2), le noyau de cette initiative.
1. Taban Lo Liyong est un célèbre écrivain d’origine soudanaise et défenseur de la culture Nubi.
2. Awuor Anyumba est un enseignant.
Leur collaboration a donné naissance à un premier essai en 1968 : On the Abolition of the English Department (De l’Abolition du Département d’Anglais).
Avec son titre assez explicite, cet essai préconise dans système éducatif une insistance réelle sur les traditions orales Nubi et les langues maternelles comme base de l’éducation en Afrique. Ils sont en totale résonnance avec d’autres auteurs du moment tels que Frantz Fannon. Cela donnera suite à d’autres essais:
- Homecoming (1969)
- Writers in Politics (1981 et 1997)
- Decolonising The Mind (1986)
- Moving The Center (1994)
- Penpoints Gunpoints and Dreams (1998)
Les Mots au service de l’émancipation
En 1975, il monte une nouvelle pièce : Le Procès de Dedan Kimathi.
L’année 1977 est celle de tous les tournants, mais aussi celle du début des tourments. Ngugi est au sommet de son art, et plus que jamais sûr de ses idées.
Il publie Petals Of Blood, une nouvelle qui dépeint un Kenya postcolonial d’une manière impitoyable, et sans aucune fioriture. C’est un franc succès autant au Kenya qu’à l’étranger.
La même année, paraît la pièce Ngaahika Ndeenda (Je me marierai quand je voudrai), qu’il a écrite avec sa femme, Ngugi Wa Mirii. La représentation est donnée au centre culturel et éducatif de Kamirithu, à Limuru.
C’est le retour au Pays, il est simplement triomphal. Les paysans et es travailleurs sont mobilisés, le succès est au rendez-vous, car la pièce leur est destinée, elle est en Kikuyu.
Dès lors, les actes de Ngugi Wa Thiong’o sont parfaitement en accord avec ses idées, ses dires et ses écrits. Il critique durement les inégalités et fustige les politiques misent en place par le gouvernement.
Il met un point d’honneur à communiquer avec les autres Kényans non plus dans la langue du colon (l’anglais), mais plutôt dans les langues du terroir Kényan, à commencer par le Kikuyu.
Le tournant
Suite à cela, Ngugi est arrêté le 31 Décembre 1977 et emprisonné pendant un an dans la prison de sécurité maximale de Kamiti.
Son expérience de ce lieu est consignée dans un de ses livres : Detained: A Writer’s Prison Diary, paru en 1982.
Ce séjour dans le silence des geôles forgera le nouveau Ngugi Wa Thiong’o, celui qui n’accepte aucun compromis.
C’est à partir de là qu’il décide de n’écrire qu’exclusivement en Kikuyu, snobant purement et simplement les langues occidental lors de ses travaux d’écriture.
Pendant sa détention, il rédigera une première nouvelle : Caitani Mutharabaini (Le Diable sur la Croix) parue en 1981 et traduite en anglais en 1982.
Caitani Mutharabaini raconte la tragique histoire de la jeune Wariinga, qui a émigré depuis son village à Nairobi, pour être exploitée par son patron, un homme d’affaires corrompu. Au travers de cette histoire somme toute commune au Kenya et en Nubi, Ngugi critique le système politique et son fonctionnement dans le Kenya moderne.
La nouvelle parle d’un groupe de personnages qui se rencontrent dans un bus, chacun avec sa propre histoire, alors qu’il essaient tous de «percer» dans la jungle urbaine capitaliste du Kenya postcolonial.
Caitani Mutharabaini est écrit dans un style unique qui appelle même à une performance orale. Dans cette œuvre, Ngugi a respecté les codes de la poésie orale Kikuyu, notamment avec cette narration à la troisième personne qui ramène la voix du Prophète de la Justice connu dans la Poésie Kikuyu.
La nouvelle peut aisément être transposée en pièce de théâtre, et ressente une valeur éducative certaine.
L'exil
À sa sortie de prison un an plus tard, Daniel Arap Moi a succédé à Jomo Kenyatta à la tête du pays.
Moi, dans son optique de bloquer l’hégémonie Kikuyu, lui barre l’accès à tout poste dans les lycées et Universités du pays, réduisant l’expression de Ngugi au théâtre et à l’écriture.
Mais cela n’empêche pas le Guerrier Kikuyu de continuer son combat. Il devient une telle menace qu’alors qu’il se trouve à Londres en 1982 pour la promotion de son livre Devil on the Cross (Le Diable sur la Croix), il apprend qu’Arap Moi a l’intention de le faire éliminer dès son retour.
Cette nouvelle donne le pousse à l’exil d’abord à Londres (1982-1989), puis au États-Unis (1989-2002). Les demande d’extradition d’Arap Moi n’aboutiront jamais. Ngugi, alors en conférence à Harare (Zimbabwe) échappe à une tentative d’assassinat en 1986. Le plan mis en place par l’équipe engagée pour réaliser ce acte funeste est contrarié par la sécurité.
La même année, il publie Matigari Ma Njiruungi.
Publié d’abord aux éditions Heinmann en 1989, Matigari raconte l’histoire d’un ancien combattant Mau Mau qui retourne dans son pays natal, prêt à déposer les armes et à les remplacer par la ceinture de la Paix.
Déterminé à reconstruire sa maison et commencer une nouvelle vie, son existence devient une recherche de paix et de justice.
Il se rend compte qu’au lieu de jouir de leur indépendance nouvellement acquise, ses compatriotes sont toujours oppressés et exploités par leurs leaders corrompus. A ce moment précis, il réalise que sa quête de paix et de justice est futile.
Pensant que le personnage principal de la nouvelle était inspiré d’une personne réelle, Arap Moi lance un mandat d’arrêt contre cet « ancien combattant Mau Mau ».
Voyant son erreur, il finit par faire interdire la vente de la nouvelle. Il en sera ainsi jusqu’en 1996.
Dans le même temps, les œuvres de Ngugi Wa Thiong’o sont retirées des programmes scolaires et de toutes les institutions éducatives.
Ngugi met son exil à profit pour travailler au niveau international. Dès 1982, et ce jusqu’en 1998, il travaille avec le comité pour la libération des prisonniers politiques au Kenya basé à Londres.
Jusqu’en 1992, il effectue des passages remarqués dans quelques grandes Universités occidentales (Byreuth University à , Borough of Islington à Londres, Yale aux USA). Il enseigne notamment la Littérature comparée.
En 1986, il étudie le cinéma au Dramtiska Institute à Stockholm (Suède).
Et dès 1992, il occupe le poste de professeur de Littérature comparée et d’étude des performances à l’Université de New York jusqu’en 2002.
La fin de l'exil
En 2002, Mwai Kibaki atteint les hautes sphères du pouvoir. Ngugi et sa femme décident enfin de revenir au Kenya, nous sommes en 2004.
Il prévoit de publier Murogi wa Kagogo cette année-là. Ce livre célèbre en un sens ce retour en terre Kenyane.
Ce qui devait être le retour définitif sur la Terre de ses Ancêtres après 22 ans d’exil vire au cauchemar lorsque le couple est attaqué à son domicile par un groupe de 4 personnes.
L’assaut est violent, Njeeri est souillée dans son honneur de Femme, et Thiongo brûlé au visage. Le couple est tout bonnement humilié.
Cet événement tragique marquera ce retour tant attendu de souvenirs abominables.
Le combat continue
Murogi wa Kagogo (Wizard of the Crow) est finalement publié en 2006.
Ngugi Wa Thiong’o s’est également posé en support pour les autres Auteurs Nubi. Il a notamment édité de nombreux journaux littéraires :
- Penpoint (1963-1964)
- Zuka (1965-1970)
On peut également citer Ghala et Mutiiri (1992 à nos jours).
Ecrivain, Professeur émérite, Docteur, Essayiste, Nouvelliste, Romancier, Dramaturge, Editeur, … Ngugi Wa Thiong’o, Guerrier des Mots continue son combat pour la décolonisation mentale.
Aujourd’hui Professeur émérite de Littérature Anglaise comparée à l’Université de Californie (Irvine), Ngugi Wa Thiong’o continue également à sillonner le monde, portant toujours plus haut la Littérature Nubi et Kikuyu en particulier.
Son travail est unanimement reconnu. Il a notamment reçu le Nonino International Prize for Literature en 2001.