ART ET MUSIQUE : Miriam Makeba – Mama Africa

Uzenzile signifie « Tu n’as qu’à t’en prendre à toi-même » en langue Xhosa

©

De son vrai nom Uzenzile Makeba Qgwashu Nguvama, Miriam Makeba naît le 4 mars 1932 dans le Township Prospect à Johannesburg (Afrique du Sud). C’est un pur produit bantu de mère Swazi et de père Xhosa.

Elle passe sa première année de vie en prison là où sa mère a été incarcérée pour fabrication illégale de bière, la seule ressource qui lui permettait de nourrir sa famille.

Orpheline de père à six ans, Miriam vit avec sa mère et gagne sa vie d’abord comme bonne ensuite comme laveuse de voitures.

Les débuts d’une carrière de chanteuse dans les townships de Johannesburg

Elle commence sa carrière musicale dans les townships dès les années 1950 alors qu’elle est jeune mère d’une petite Sibongile issue de son premier mariage avec James Kubay.

Elle chante d’abord avec les Manhattan Brothers puis forme quelques années plus tard son propre groupe The Skylarks (les alouettes) dont le registre musical va de ce qu’on appelle le township jazz jusqu’aux chansons religieuses en passant par les mélodies traditionnelles remises au goût du jour.

Miriam et une membre de son groupe en répétition dans une petite salle à Jo’burg.

Une carrière au cinéma qui débute bien…

En 1956 elle compose l’un de ses tubes les plus célèbres aux nombreuses reprises : Pata pata, une chanson qu’elle qualifie de « populaire » au cours d’une interview à Alger en 1971.
En 1959 elle participe dans son pays à la comédie musicale de King Kong au cours de laquelle elle rencontre Hugh Masekela artiste faisant aussi partie du casting. Ils se marient.
Miriam est une jeune femme d’une beauté certaine. Elle est féroce en tout ce qu’elle fait mais demeure d’une sensibilité à fleur de peau. Ce qui ne lui servira pas toujours dans sa vie ni dans ses choix.
Et celui qu’elle fait en acceptant de tourner dans le film docufiction de Lionel Rogosin cinéaste américain indépendant qui dénonce dans Come, Back Africa le système d’Apartheid, lui sera fatal. Nous sommes toujours en 1959.

Une carrière au cinéma qui finit mal…

C’est ainsi que Miriam qui au départ n’avait voulu être qu’une artiste méritante se retrouve du jour au lendemain confrontée au système racial et raciste de son pays.
Partie en Europe faire la promotion de ce film, elle revient en Afrique du Sud et la réalité la rattrape dès sa descente de l’avion.
Et elle témoigne avec des mots simples mais ô combien poignants des circonstances de son exil, je traduis et je cite :
« L’homme derrière le bureau prit mon passeport. Il ne m’adressa pas la parole. Il prit un tampon en caoutchouc et tamponna mon passeport. Ensuite il s’en alla. Je repris mon passeport. Il était à présent marqué d’un mot : INVALIDE ! Alors j’ai juste pensé qu’ils l’avaient fait. Ils m’avaient exilée. Je ne pouvais plus rentrer chez moi maintenant et peut-être jamais. Ma famille, ma maison m’étaient interdits. Tout ce qui faisait partie de moi, ma vie même avait disparu. » Miriam Makeba, (cité par Kalamu ya Salaam, doc. Original)

©larodia.com

L’exil et ses multiples contraintes…

Miriam et Harry et leur Grammy en 1966 ©gettyimages.ca

Exilée, devenue apatride, sans aucune nationalité, Miriam atterrit à Londres où elle est accueillie par l’un de ses plus fidèles amis.
Un défenseur de la cause noire, un chantre de la lutte contre l’oppression de son peuple : Harry Belafonte.
Et il lui ouvre les portes des plus grands studios où sa beauté, sa voix et surtout sa situation d’exilée feront le reste. De Londres elle rejoint avec son mentor les États-Unis.
Mais l’euphorie est de courte durée car sa mère décède quelques mois plus tard en 1960. Le gouvernement sud-africain lui refuse l’autorisation de revenir pour l’enterrer ou du moins pour revoir une dernière fois sa famille.
Mais Miriam monte sur scène, le sourire aux lèvres et les mots d’amour, de paix coulent de son cœur malgré la douleur de cette perte et la souffrance d’exilée qui ne la quittera quasiment jamais.
Six ans plus tard, en 1966 l’album An Evening où elle est en duo avec Harry Belafonte gagne un Grammy et c’est à partir de cette victoire qu’elle acquiert la renommée internationale.
RCA Records lui fait signer un contrat honorable et elle est à l’affiche des salles prestigieuses aux Etats-Unis mais aussi en Europe.

Sa rencontre avec l’activiste et chef des Black Panthers, Stokely Carmichael la place de nouveau face aux exigences de son cœur d’éternelle amoureuse.
Miriam aime la vie. Elle aime l’amour. Mais Miriam aime avant tout défendre la Cause de son peuple. Et elle se sent des affinités indéniables avec Carmichael en tombe amoureuse et finit par l’épouser.
Ce sera pour Miriam le début de la fin. Même Harry Belafonte ne pourra pas sauver sa carrière. Car dès l’annonce de ce mariage, les pays occidentaux sous la houlette des Etats-Unis réagissent tels des pions d’un jeu de domino.
Aux États-Unis, ses concerts sont annulés. RCA Records résilie son contrat. Et aucun pays n’est plus disposé à la recevoir. La mauvaise presse des Black Panthers mouvement activiste radical dessert Miriam obligée une fois de plus de se trouver une terre d’asile.

Miriam Makeba et Stokely Carmichael à Alger 1971. Archivo fotográfico D. del Pino ©pinterest

La Guinée de Sékou Touré, seule terre libre de toute l’Afrique Noir, accueille Zenzi rejetée de tous.

Tous les pays du Nord comme du Sud ont fermé leurs frontières à Miriam et à son époux. C’est alors que l’unique pays libre d’Afrique ayant entendu cet appel par le biais de sa représentation diplomatique aux États-Unis décide d’accueillir l’exilée.
Sékou Touré, président de la Guinée ne reconnait aucune autorité au-dessus de la sienne et n’a cure des représailles des pays occidentaux. Il ouvre les portes de son pays, ses maisons et ses bras fraternels à Miriam Makeba qui accourt suivie de son époux s’y réfugier.
Sékou Touré de la Guinée Conakry offre à notre apatride un pays, une terre, un refuge. Il lui offre sa première nationalité et l’installe avec tout le faste comme la reine qu’elle est en train de devenir.
Il est assez curieux que nombre de pages consacrées à Miriam n’évoquent pas assez cet épisode. Nous allons nous y attarder afin de souligner, une fois de plus, le travail accompli par le premier président de la Guinée qui demeure encore connue sous l’appellation de la Guinée de Sékou Touré.

Andrée et Sékou Touré le couple présidentiel qui accueille Miriam et son époux en Guinée Conakry ©facebook.com

Quand Miriam Makeba arrive à Conakry à la fin des années 1960, elle est à bout de tout. Les portes se sont refermées en Europe mais aussi en Afrique sauf en Guinée Conakry où elle se réfugie comme nous l’avons dit avec son époux mais aussi tout son « staff ».
Miriam continuera à vivre en Guinée même après son divorce avec Carmichael, une autre épreuve qui l’incite à chanter « a luta continua », le combat continue.
Mais entre temps, elle relance sa carrière notamment avec des tournées dans quelques pays d’Afrique dont l’Algérie en 1971 qu’elle visite alors qu’elle est encore mariée à Carmichael.
En 1972, l’Algérie lui offre sa seconde nationalité après la Guinée. Elle poursuit sa carrière internationale sous la protection de Sékou Touré qui veillera jusqu’à son décès survenu en 1984, à sa protection et à son bien-être.
Le premier président guinéen ira jusqu’à la nommer comme représentante de son état aux Nations Unies. Nomination qu’elle emploie pour défendre la cause qui lui tient à cœur : l’abolition de l’apartheid et l’amélioration des conditions de vie des plus démunis en Afrique.

©pinterest

Lorsque le sort s’acharne sur Zenzi à qui doit-elle s’en prendre ?

©pinterest

En 1985, celle qui ne devait toute sa vie que s’en prendre à elle-même, est de nouveau dans la tourmente. Sa fille unique Sibongile, surnommée Bongi meurt des suites de son accouchement.
Terrible épreuve qui fait suite à une autre épreuve : le décès des mois plus tôt de Sékou Touré.
Miriam traumatisée par ces deux pertes en un temps si court ne doit son salut qu’à un nouvel exil. C’est ainsi qu’après avoir dit au revoir à son protecteur et à sa fille (tous les deux reposent en Guinée), elle quitte ce pays hospitalier pour l’Europe.
Elle atterrit en Suisse où elle prend deux longues années pour panser ses blessures. Sa rencontre avec Paul Simon relance sa carrière. De cette collaboration nait l’album Graceland.

L’accalmie et la fin de 31 ans d’exil.

C’est en Suisse que 3 ans plus tard, le coup de fil personnel de Nelson Mandela met un terme à son exil. Un exil qui aura duré 31 ans. Il lui dira simplement : « Rentre à la maison ».
Oui. Zenzi Makeba rentre aussitôt en Afrique du Sud où elle est accueillie comme une reine. Mieux qu’une reine, c’est la MAMA AFRICA qui rentre chez elle.
Elle a épuisé tout au long de cet exil ses larmes. Mais elle en a encore pour pleurer sur le sort des ravagés du Sida, principalement les enfants.

De nouveaux terrains de combat pour la dignité humaine

©kalamu.com

C’est aux côtés de Macha veuve de Samora Machel et épouse de Nelson Mandela qu’elle mène le combat pour la dignité des victimes du Sida.
Elle ne cessera de clamer que la maladie à combattre est la Pauvreté.
La Pauvreté étant responsable de tous les maux dont souffrent les peuples les plus démunis.
Mais cette cause n’en est qu’une parmi tant d’autres que Mama Africa défend. Toujours aux côtés de Macha Machel-Mandela, elle s’intéresse aux enfants soldats et handicapés de guerre. Elle sillonne la sous-région, (Mozambique, Angola), là où la guerre a fait des ravages certains et partout apporte son aide en participant aux concerts afin que l’argent collecté serve à améliorer le sort de ces enfants.

©elisabethstoudmann.com

Mama Africa ne se cantonne pas seulement en Afrique. Partout où les libertés individuelles sont menacées elle n’hésite pas à apporter sa contribution dès qu’elle est sollicitée.
Et c’est cette générosité qui n’avait pas de limites chez cette grande qui la conduit ce 08 novembre 2008 à Castel Volturno en Italie.
Elle participe à un concert pour soutenir l’auteur de Gomorra, Roberto Saviano, traqué par la Camorra. C’est sur la scène que la mort lui donne rendez-vous. Elle est déclarée morte suite à ce malaise cardiaque.

Vive Zenzi Mama Afrika!

Mais elle n’est pas morte Mama Afrika.
Celle qui tire à Nelson Mandela le plus long et le plus émouvant des éloges, s’est simplement reposée. Et elle repose auprès de ceux qui l’ont précédée. Ses chansons continuent de nous enchanter.
Un enchantement sans cesse renouvelé à travers ses nombreuses compositions.

©nostalgie.fr
Auteur : Musinga Mwa Tiki
Panier