Violences conjugales dans la saga Le Jeu des Anciens

La violence conjugale est une problématique vieille comme le monde. Elle s’inscrit dans un rapport d’inégalité entre l’homme et la femme. En effet, dans 85 % des cas rapportés, les victimes sont des femmes. Et même si, de plus en plus, nous retrouvons des hommes dans ce triste tableau, comparativement, la proportion de femmes victimes de violences domestiques demeure non négligeable. (Liliane Daligand, Les violences conjugales, éditions Que sais-je ?, publié en 2019)

Alors qu’est-ce que la violence conjugale ? Quelles sont les formes de violences ? Comment distinguer la violence domestique d’une simple dispute de couple ?

Introduction

« Chérie, tu me regardes quand je te parle, ça ne t’a pas suffi la dernière fois ? Tu as besoin que j’en remette une couche ou quoi ? T’as vu ce que tu me pousses à faire, mon cœur ? Mais réfléchis, c’est qui, qui se lève tous les matins et se crève à la tâche pour nous hein ? C’est qui, qui se casse le dos chaque jour pour nous nourrir ? Mais t’as toujours pas compris, mais si je te frappe c’est parce que je t’aime, c’est pour ton bien chérie, tu le sais bien ça hein. Mais, c’est ça la vie de couple. Je t’aime ».

TFI Le Groupe, pub contre les violences conjugales, osez-en parlez

Le texte que vous venez de lire est tiré d’une publicité diffusée sur TF1 évoquant les violences conjugales. L’idée étant d’inciter à la dénonciation des violences faites aux femmes. Que vous soyez témoin ou victime, appelez les numéros appropriés afin de recevoir conseils et informations quant à la démarche à suivre. Telles sont les recommandations qui suivent cette diffusion.

Pourtant, ce protocole, bien qu’efficace, est difficilement sollicité par les personnes victimes de violences, par crainte ou par simple protection de leur vie de couple.

En effet, la violence conjugale se manifeste dans une relation intime. Nous y retrouvons un rapport de domination dans lequel le bourreau maintient sa victime sous son emprise tout en s’assurant qu’elle ne le quitte pas. Les violences conjugales prennent plusieurs formes. La plus visible étant la violence physique qui se caractérise par des coups-de-poing, des coups de pieds portés sur des parties bien précises du corps. Pour les femmes à la carnation claire, il est plus facile de repérer un vert de nerf, un rouge de rage, un brun de poing, ou encore un violet de viol.

Les autres formes de violences plus insidieuses et perfides prennent des allures difficilement repérables que nous attribuons volontiers à un trait de caractère. Il est alors normal pour une femme dont le partenaire est naturellement avare, de ne pas se percevoir comme victime de violences économiques lorsque celui-ci, pour une raison comme pour une autre, décide de lui couper toutes les ressources financières, l’empêchant ainsi de subvenir à ces besoins et à celui de ses enfants si elle en a.

 

 

Cela va également de soi, pour une femme en couple avec un mari au tempérament jaloux, de ne pas remarquer les signes de violences. Ce dernier peut lui demander à chaque sortie de prendre des photos d’elle avec son smartphone afin d’identifier le lieu où elle se trouve, ainsi que les personnes qui l’accompagnent. Ou encore, il choisit régulièrement la robe et la coiffure qu’elle doit arborer lors d’une soirée avec des amis. Le contrôle est un acte de jalousie, preuve de son amour passionnel.

Viennent aussi les violences psychologiques et spirituelles aux cours desquelles la victime a le droit à des insultes, des menaces, des cris, des mots blessants, des humiliations de toutes sortes. Le but étant d’établir et de maintenir un rapport de force et de domination qui, petit à petit, va s’immiscer dans l’esprit de la victime pour une perte de confiance en soi, une dévalorisation, une véritable manipulation qui très souvent se solde par un suicide.

Pourtant, l’élévation de la voix, l’usage de la force, les mots blessants ou encore le sevrage économique sont des recours utilisés par un partenaire trop autoritaire pour faire entendre sa volonté dans le couple. Bien que brutale, cette façon d’agir est parfois courante au sein de la vie conjugale.

Comment distinguer la simple dispute d’une violence conjugale ?

Il est important de comprendre que tous les différends que nous retrouvons dans les ménages ne sont pas des violences domestiques. Lors d’une simple dispute, le couple évolue dans une dynamique au sein de laquelle chacun des protagonistes est tour à tour agresseur et victime, avec pour finalité, l’obtention de gain de cause.

Pour deux personnes qui s’aiment, le conflit surgit lorsque les besoins d’un partenaire interfèrent avec ceux de son binôme. Quand les valeurs de l’un ou de l’autre s’opposent, le ton peut monter pour convaincre son conjoint de son bon droit ou pour avoir raison. Puis, vient le compromis et ensuite l’entente, la négociation. Les deux partenaires essaient de trouver le juste milieu. Ils décident ensemble des directives à suivre et de l’évolution des choses, dans le calme et le respect.

À titre indicatif, voici en ébauche un extrait tiré du roman Le Jeu des Anciens, Vol. 1- Ọláyínká, le choix d’une vie dans lequel, l’auteur Musinga Mwa Tiki décrit avec force détails une altercation entre conjoints. 

« — Àìná ! j’ai peine à croire que tu as encore toute ta tête ! Tu es sûrement folle et moi je dois m’en aller avant de t’étrangler !

Il claqua la porte en sortant. Elle l’attendit une bonne partie de la nuit. Elle ne se coucha pas dans la chambre, mais s’allongea sur le canapé du séjour. McNeil revint aux premières lueurs de l’aube. Il était imprégné d’odeurs diverses, allant de la cigarette à un parfum lourd. En outre, il avait bu. Elle se redressa et lui dit bonjour. Il l’insulta rageusement et se précipita sur elle. La gifle fit plus de mal à Àìná que les centaines de coups reçus chez Dame Fúnmi.[…]

Il voulait une vengeance. Elle lui apparaissait, à la lumière du jour, puérile et fort banale. Il ricana sans raison. Mais McNeil avait de l’orgueil une notion bien définie. Il se garda donc de demander des excuses, à son épouse, pour son inconduite. Dans la journée, il lui annonça qu’elle n’avait plus le monopole de la tromperie dans leur couple. »

Pages 88 – 89

Dans le cas de violences conjugales, faire souffrir l’autre est un acte prémédité. Installé dans un rapport de force, la victime n’a rien à dire, ne ressens rien, ne possède rien et surtout n’existe que pour satisfaire les besoins du compagnon autoritaire. 

Le sexe devient forcé. Dans ce cas de figure, très peu de victimes le symbolisent, pourtant le soir, lorsque le compagnon rentre du travail, il veut, elle ne veut pas. Il utilise alors la force pour la soumettre. Il n’entend plus les cris de douleurs et les supplications lui demandant d’arrêter. D’aucuns nous diront que c’est normal, il s’agit d’un devoir conjugal et non d’un viol conjugal.

Eh bien non ! Ce n’est pas le cas. Le viol conjugal existe et il est désormais reconnu par la loi. (Violences conjugales et famille, sous la direction de Roland Coutanceau et Muriel Salmona, éditions Dunod, Collection Psychothérapies, mars 2021)

Généralement, lorsque l’agresseur en arrive à ce niveau, la tension dans le couple est à son comble et la violence physique établie depuis longtemps transforme la victime en un punching-ball qui vit dans la détresse et l’anxiété permanente. Elle est un instrument qui ne sert que les envies de l’agresseur et qui suffoque à la moindre contrariété, au moindre stress du partenaire violent.

De femme amoureuse, elle devient victime dominée qui ne comprend pas ce qui lui arrive, ni quand tout a basculé. La tension ira en s’aggravant et rien ne sera, plus jamais pareil. Son bourreau continuera de la frapper jusqu’à ce qu’elle trouve la mort, comme nous pouvons le lire dans l’extrait qui suit.

« Ọláyínká, adoptée par Cassandra qui n’a pas eu d’enfant partage son temps entre les deux appartements. Elle assiste à la première scène de violence entre le couple lorsqu’elle a douze ans. Le traumatisme pour elle est certain. Àìná et son compagnon tiennent leur fille loin de Cassandra pendant plusieurs mois. Mais l’instance de cette femme seule finit par avoir raison des résolutions parentales. Ọláyínká reprend sa place dans la vie de Cassandra qui la considère comme l’enfant qu’elle n’a pas eu.

La deuxième scène intervient quelque temps plus tard. L’Ange d’Anthony Village voit de nouveau Cassandra battue par son époux rendu fou par l’alcool. C’est le voisin, excédé par les cris et les bruits, qui alerte la police. Les agents trouvent dans l’appartement, une petite fille recroquevillée dans un coin du salon, une femme en sang et un homme effondré sur un canapé, une bouteille d’alcool à la main. […]

[…] Cassandra, comme une bonne majorité de femmes battues, refusera de porter plainte contre son mari et reprendra sa vie de couple. »

Le Jeu des Anciens, Vol. 2, Autour de la Femme, pages 630 à 632

Pourquoi les personnes victimes de violences conjugales refusent-elles de porter plainte ?

Dans un premier temps, comme dit précédemment, c’est pour préserver son union. Par la suite, des mécanismes psychologiques plus profonds prennent le relais et cette dernière se retrouve dans un engrenage où porter plainte n’est même plus envisageable. (Liliane Daligand, Les violences conjugales, éditions Que sais-je ?, publié en 2023)

En victime dominée, impuissante, elle subit la crise jusqu’à ce que le pire se produise, comme nous pouvons le lire dans la suite de notre extrait.

« — […] Cassandra, comme une bonne majorité de femmes battues, refusera de porter plainte contre son mari et reprendra sa vie de couple.

[…] Cassandra est au bout du fil et elle répond à l’appel au secours sans plus réfléchir. […]

La porte de l’appartement est ouverte. Elle y pénètre décidée à en découdre physiquement avec Nigel. Mais la confrontation tant redoutée ne se produira pas. Cassandra retrouvée sur le sol de la cuisine téléphone à la main gît dans une mare de sang. Ọláyínká appelle les urgences et également les forces de l’ordre qui constatent les faits et la fuite du mari. […] Cassandra est encore consciente lorsqu’elle s’installe à son chevet. Àìná, revenue trois heures plus tard, est jointe par la police. C’est dans leurs locaux qu’elle apprend que sa fille aura de nouveau sauvé la vie de son amie Cassandra. Après avoir rempli les formulaires, Àìná regagne également l’hôpital. Mais elle y arrive trop tard.

Cassandra vient de décéder de ses blessures quasiment sous les yeux d’Ọláyínká sortie de la pièce par le personnel hospitalier. »

 Le Jeu des Anciens, Vol. 2, Autour de la Femme, pages 632 à 634

 

Les violences conjugales sont malheureusement une réalité qui existe depuis longtemps. Bien que les statistiques rapportent de nombreux cas et que des organismes de dénonciation et de prise en charge aient été mis en place, la plupart des victimes ne signalent pas leur condition et les faits ne sont connus qu’après l’irréparable. À ce propos, toutes nos pensées vont à la jeune marathonienne originaire de l’Ouganda, immolée par son mari à son retour des jeux olympiques de Paris 2024. (Article Le Parisien, « Rebecca Cheptegei, marathonienne des JO de Paris, brûlée à 75% par son compagnon », 3 septembre 2024)

Il est essentiel que les victimes encore silencieuses prennent conscience que les violences domestiques ne sont pas inévitables et qu’elles ne sont en aucun cas responsables de la situation.  Elles peuvent s’en sortir, la première étape, sans doute la plus difficile, est d’en parler.

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